Hier, j'ai rêvé qu'il pleuvait...
Première époque. Encore innocente et curieuse de tout, elle ne dure qu'un temps. Éphémère, elle germera pleine de rêves et les yeux remplis des couleurs de l'arc-en-ciel. Sans pluie et sans soleil, seuls les meilleurs moments resteront gravés et on les racontera au coin du feu les soirs d'hiver, la mémoire enjolivant ses contours flous.
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Je l'ai ! Je l'ai les mecs !", criait à tue-tête le garçon en agitant le morceau de tissu coloré à bout de bras, le faisant flotter tel un oriflamme flamboyant.
Attirés par ses cris, les cinq autres enfants accoururent. Ils formèrent un cercle autour du premier, se penchèrent, se serrant davantage pour mieux voir, cachant aux yeux du monde l'objet de leur attention. Quelques onomatopées de surprise et de joie retentirent, suivies d'exclamations et de questions murmurées. Le premier garçon laissa échapper un rire. Il tenait fièrement le morceau de tissu de ses deux mains comme un prince porte sa bien-aimée.
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Ce n'était pas si difficile. Il fallait juste avoir du doigté."
Enfin, l'un du cercle de curieux se décida et effleura du bout des doigts l'obi.
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Et son kimono s'est ouvert ?", demanda l'un des garçons.
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Bien entendu ! Elle a même crié !" De cinq pairs d'yeux s'ouvrirent en grand.
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Et... et qu'est-ce qu'elle portait en dessous ?" Celui qui tenait la ceinture brodée ouvrit la bouche, la referma avant de grimacer.
"
J'chais pas... je me suis enfui." Un vacarme de soupirs et de grognements frustrés retentit.
L'attroupement se dissipa et les garçons retournèrent près du cerisier en fleurs, s’essayent dans l'herbe fraîche. Ils firent une place au dernier venu. Celui-ci tenait toujours entre ses doigts la ceinture de tissu. Chacun s'adossa à un côté du tronc. Leurs épaules se touchaient à peine et ils étaient tous si bien rangés que l'on pouvait aisément se dire qu'ils avaient l'habitude de s'installer à cet endroit. Certains fermaient les yeux. D'autres se tenaient, bras ballants, regardant le ciel bleu d'un regard absent. A cette heure de la journée, les adultes travaillaient et le village était presque désert.
Un Roucoups passa au dessus d'eux. Aucun ne le fit remarquer. Ils savaient que s'ils abordaient le sujet, la discussion finirait en dispute car, il y en avait toujours un pour contredire les autres.
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Les mecs... vous irez à la fête demain ?" Hochements de tête et réponses courtes affirmatives répondirent avec paresse.
"
J'aimerais bien y aller avec une fille...", continua pensivement le garçon. Nouveaux hochements. "Mais après qu'on les a embêté, je ne suis pas sûr qu'elles veuillent bien venir avec nous." Cette fois-ci, silence. Ils en étaient arrivés à la même conclusion. Quelques secondes s'écoulèrent lourdes de réflexions.
Soudain, une voix s'éleva.
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C'est pas grave ! On a qu'à déguiser Yuki et il jouera la fille ! Des rugissements de rire secoua le groupe.
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Pas bête, renchérit un autre, il n'aura qu'à mettre ça", et il montra l'obi toujours dans ses mains.
"
Qui s'est que tu traites de fille ?!", t'exclamas-tu, ne partageant pas l'hilarité de tes amis. Tu n'étais pas le plus jeune, mais sans conteste celui dont le visage était le plus doux même si, à cet âge-là, les traits des enfants sont tous tendres et ronds. Tu te redressas, fis le tour de l'arbre et donnas un grand coup de pied dans le genou de celui qui t'avait insulté. Ce dernier ne s'y attendant pas poussa un cri de douleur avant de se jeter dans tes jambes, te renversant au sol. En résulta une bagarre où vous vous donniez des coups à tour de bras, se roulant dans la poussière tels des bébés Caninos sous les encouragements de vos amis.
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J'vais t'tuer. J'vais t'tuer", répétais-tu comme une litanie.
C'est alors qu'au milieu de ce boucan, un cri attira l'attention de tous : "
Attention v'la l'Prêtre !"
Sans attendre, les enfants s'éparpillèrent tels une volée de Piafabec.
"
Zen ! On a oublié l'obi d'Hana", remarquas-tu le cadet lorsque vous fûtes hors de vue de l'adulte.
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C'est pas grave Yuki, elle en portera d'autres. Et on les lui piquera tous." Tu pouffas de rire avant de grogner légèrement. Lentement, tu passas la langue le long de ta dentition.... Ta gencive saignait, mais tu souriais de toutes tes dents de lait.
Deuxième époque. Avec douceur. Un parfum apaisant que l'on a pas senti auparavant. Toutes les portes sont ouvertes et la vie pleine d'opportunités. On se vautre dans les instants, s'enfermant dans une routine confortable sans profiter de chaque sourire que la vie peut nous offrir.
"
Il faut y mettre plus de cœur. Frappe plus fort !"
Le petit garçon jeta un regard désolé vers, toi, l'homme qui l'incitait à frapper la gamine en face de lui.
"
Ito, je n'ai pas envie de la blesser...", couina t-il.
Tu levas les yeux au ciel avant de faire signe à la gamine. Celle-ci avec un cri de guerre donna un grand coup de poing dans le ventre de l'autre enfant, lui coupant le siffler et le faisant chuter en arrière. Cependant, alors que le bout de chou s'attendait à s'abattre violemment sur le sol, deux bras le réceptionnèrent.
Tu remis le garçon sur ses pieds avant de lui murmurer."Je ne te demande pas de la battre, juste de ne pas croire en porcelaine." Puis, tu t'adressas au groupe en fond. "Première leçon", tu brandis un index en l'air, "
Ne sous-estimez pas votre adversaire ! Même coupée, la tête du Grahyena mord toujours alors, ne baissez jamais votre garde !"
D'un signe, tu donnas l'ordre au duo de reprendre. Le gamin n'eut le temps que de se mettre en position défensive qu'un nouveau coup de poing dans l'abdomen le faisait tomber sur les fesses. Quelques rires dans le groupe observateur retentirent. Sans s'en préoccuper, tu demandas au garçon de se relever. Les yeux noirs de ce dernier brillèrent d'une lueur hésitante, mais craignant les représailles, il s'exécuta. Aussitôt, la fille s'élança une troisième fois, paume tendue. Cette fois, s'y attendant, l'enfant réussit à l'éviter et retourna la situation à son avantage.
La petite fille à terre, tu ajoutas ton majeur à ton index déjà tendu.
"
Deuxième leçon. Il s'agit de cours, vous êtes là pour apprendre de vos erreurs et vous améliorer. Pas de coups dangereux, les combats se font sous ma supervision et seulement dans le terrain d'entraînement. Pas de morsure, ni de griffure. Si vous êtes en colère, allez-vous défoulez dans un coin. Les mannequins sont là pour ça ! Et la prochaine fois que j'entends des rires, les concernés seront les prochains à passer devant les autres !"
Ceux qui avaient osé se moquer baissèrent la tête. Malgré ton visage efféminé, tu étais bien plus impressionnant que l'on pouvait penser.
Puis, tu prias au duo de rejoindre les autres.
"
Maintenant, nous allons commencer par les bases : la concentration. Tout d'abord ..."
La phrase resta en suspend ... Accoudée à la roche, une figure fixait le groupe.
Tu t'excusas auprès de tes élèves, leur demandant de refaire des étirements jusqu'à ton retour avant de rejoindre le jeune homme. Ce dernier ricana doucement en imitant ta voix forte : "
Les combats se font seulement dans le terrain d'entraînement. Ce ne serait pas un peu hypocrite ?"
Bien entendu, tu choisis d'ignorer ton ami.
"
Je t'ai déjà dit que je n'aimais pas être dérangé pendant mes cours. Ça disperse les mômes."
Zenjiro ne paraissait pas plus déphaser que cela, ignorant simplement les reproches. Cependant, il portait une certaine gêne sur le visage qui n'allait pas avec son visage habituellement sûr de lui.
"
Je voulais te demander des conseils Yuki. C'est un peu gênant... Hum. En fait, j'aimerais dire à une fille... qu'elle me plaît, tu vois."
"
C'est du sérieux ou c'est juste un tirer un coup ? Car moi et les relations, c'est l'amour vache."
"
C'est très sérieux !"
"
Alors, désolé vieux, mais je ne pourrais pas t'aider. Les mots doux et tout le bazar, c'est pas mon rayon."
Zenjiro tenta de rajouter quelque chose mais se retint. Il ne fallait pas oublier qu'il y a plusieurs années, tu avais harponné une dizaine de filles du village avec la facilité d'un pêcheur expérimenté. La faute à tes grands yeux de Vivaldaim et tes sourires en coin. Charmeur. Il avait fallu tout autant de cœurs brisés et d'une lassitude de ta part pour que le sexe féminin s'éloigne.
L'expression gênée de Zenjiro avait fait place à une autre, dépitée. Devant ses yeux de chiot maltraité, tu déclaras finalement : "
... des fleurs. On dit que les filles aiment les fleurs. Maintenant tire-toi de là ! Les gamins ne vont pas apprendre à se battre d'un claquement de doigts !"
Troisième époque. Elle apparaît avec la fraîcheur du matin. On se réveille et on ouvre les yeux. Les rêves se sont enfuis et le futur n'a jamais paru aussi incertain. Alors, on tourne la tête et par-dessus notre épaule et on voit nos traces dans le sable fin.
Tu n'as pas voulu croire ce qui t'arrivait. Les premiers jours où les pressentiments se sont immiscés dans ton esprit, tu as choisi de fermer ton cœur. Qu'importent les maux qui pouvaient pourfendre ton corps, le battement douloureux du sang dans tes veines, tu refusais d'aller vers la voie qui t'était destiné. Sans aucun doute ne voulais-tu pas l'accepter. Tu avais même caché ces sentiments à ton meilleur ami. Pas pour un sou observateur, ce dernier prenait pour lui le rôle de Seigneur et de père. Il était dur à convaincre.
Rêvais-tu de combat sans fin et d'une mort glorieuse sur un champ de bataille ou entouré de femelles à genoux devant toi ? Malheureusement, je dois t'apprendre que ton existence n'est pas éternelle, mais elle sera encore plus splendide que toutes les autres qui l'ont précédées et toutes celles qui viendront. Comme tous ceux qui ont été choisis.
Tu aurais dû en être comblé.
Cependant, l'être humain est si complexe... Futile, il s'attache à des choses sans importance.
Ce fut un matin de printemps que tu t'étais décidé à accepter ta destinée. La tête basse, tu t'étais approché du temple. Le soleil caressait les fleurs sauvages et sans bruit, tu as ouvert la large porte en bois sculpté. Le parquet craquait sous ses pas. Plus hésitant qu'un nouveau-né, tu croisas le regard mourant du prêtre. Le vieillard désigna d'un doigt une pile de vêtement. Tu enfilas la tenue des disciples.
Elle sent de jasmin, t'étais-tu fait la remarque.
Aucun mot ne fut prononcé entre vous, car il n'y avait rien à dire. Depuis vingt trois semaines, il t'attendait et j'avais tenté de repousser l'inévitable jusqu'à ton arrivée. Désormais, je ne pouvais que rallonger son existence que de quelques jours pour qu'il t'apprenne ton rôle.
Un jour viendra où ce sera ton tour d'attendre le prochain désigné.