[MISSION] Pour Aros !

Virgile n'aimait pas sortir de la bibliothèque. Les ruelles d'Aros lui faisaient peur, mais les gens le terrifiaient encore plus. Chacune de ses sorties s'étaient soldées par une mésaventure dont son cœur fragile se serait bien passé.
Non, le bougre n'aimait pas sortir... Pourtant, lorsque la Dragonne annonça qu'il serait aimable de la part des Arosiens de participer à l'entretien de la cité, quelque chose bougea en lui. Il était trop tranquille, trop discret pour vouloir se démarquer mais il aimait bien trop sa cité pour accepter qu'elle s'enlaidisse sans qu'il ne lève le petit doigt. Après tout, Aros était nommée 'La Blanche' et non 'La Gueuse'.
Alors pour une fois, son petit cœur patriote avait refoulé ses craintes au plus profond de lui et il avait inspiré... Plusieurs fois, avant de se proposer lui même pour aider à nettoyer la ville. C'était une tâche ingrate, il le savait. Il savait également qu'en tant que scribe dans cette cité, il n'avait pas besoin de se salir les mains... Pourtant, ce fut de bon cœur qu'il le fit. Et ce fut d'un pas bien plus décidé que sa démarche habituelle qu'il se rendit sur la place incriminée.
Oh, bien sûr, il avait effectivement ralenti à mesure que la foule s'était épaissie, mais il n'en avait pas démordu. « C'est pour Aros... C'est pour Aros ! » qu'il se répétait avec conviction. Pour Aros, pour leur bien aimée protectrice, la Dragonne, pour leur souveraine... Pour la cité Blanche !

Ainsi avait-il pénétré la scène du crime, accompagné de Sire-Lumière et Gargantua qui l'avaient accompagné plus par pitié et esprit de camaraderie que par réelle conviction. L'insecte se gelait déjà les ailes à l'air libre et tenait dans ses petites pattes un chiffon. Le Lombre, quant à lui, affichait un regard torve et dénué d'intérêt, il portait un sceau qu'il serait chargé de remplir à plusieurs reprises afin de nettoyer les immondices. Virgile, lui, s'était judicieusement équipé d'un balais et avait accroché à sa ceinture un autre chiffon.
Plus décidé que jamais, il avait pourtant donné quelques directives maladroites à son excuse et leur avait au moins répété trois fois des 's'il vous plaît' nerveux. Ainsi, si le Muciole roula des yeux, il s'était mis au travail de mauvaise grâce. Plus vite ils auraient finit, plus vite il aurait le droit à sa récompense... Il espérait que Virgile avait pensé à une récompense !
Le scribe, quant à lui, avait finit par donné son chiffon en trop au Lombre après qu'il ait rempli le sceau d'eau, et s'était mis à récurer les premières tâches qu'il avait trouvé au sol. Il était motivé, il ferait reluire cette place ! Hors de question que les touristes et étrangers qui visiteraient l'endroit dans le futur osent se plaindre de l'hygiène des habitants ou du manque d'entretien...

Il fallait bien ça, pour maintenir le prestige de sa bien aimée Cité !

Attention !

 
Une Bekipan Normale ♀

Une énième fiente tombe sur les pavés soigneusement lavés par Virgile. Quelques mètres plus haut, un énorme oiseau plane quelques secondes, avant d'atterrir un peu lourdement sur le sol. L'oiseau est déjà gras, mais ne cracherait pas sur quelques miettes de pain en plus... Ou un poisson oublié par un marchand.

La nuit avait bien avancée lorsqu'ils virent le bout du tunnel. Sire-Lumière se sentait déjà au bout de sa vie et avait enchaîné les pauses pour se reposer. Virgile ne lui en tenait pas rigueur, il était plus petit que lui et donc plus facilement fatigable. En revanche – et contre toute attente – Gargantua avait effectivement du cœur à l'ouvrage. A deux (deux et demi en fait), ils avancèrent plus vite que si Virgile n'avait été seul. Pour cause, il aurait probablement finit par fuir les lieux avant d'avoir terminé car les gens qui le dévisageaient le mettait énormément mal à l'aise.
Il avait pâlit plus d'une fois mais avait fait de son mieux pour plaquer ses yeux au sol et sur son travail. Lorsqu'ils eurent presque finit, un fin sourire osa même se frayer un chemin sur ses lèvres. Un fin sourire qui se changea bien vite en une moue plus que dégoûtée quand un splortch caractéristique se fit entendre. Oh non, quand même, personne n'avait osé alors qu'il était encore ?

… Si. Quelques rires lui parvinrent en fond – sûrement quelques passants amusés de sa déveine – mais même si ceux ci lui arrachèrent une raideur de malaise, son attention fut vite tournée vers l'oiseau obèse qui venait de se poser gaiement en dodelinant de la tête. Le coupable !
Furieux, Virgile se rapprocha de lui et haussa le ton... Enfin presque. Les mots lui manquèrent autant que s'il parlait avec l'un de ses congénères et son engueulade sonnait plus comme un sermon ennuyant que comme de réelles remontrances.
Ainsi était-il là, tentant de faire comprendre au Békipan que s'il voulait se soulager, il y avait d'autres endroits pour ça, ou même seulement, d'autres moments. Mais la bête ne bougeait pas et il ne voulait pas qu'elle reste ici, alors, il tenta de la balayer. Enfin, il lui tapota mollement les flancs avec son balais pour le faire bouger. Ha ! Comme si l'oiseau allait bouger pour si peu. Au lieu de ça, probablement ennuyé qu'on l'importune alors qu'il cherchait son déjeuner, le volatile tourna son large bec vers Virgile et lui attrapa le balais des mains.
Il couina et ne chercha même pas à retenir son outil lorsque celui-ci fut jeté au loin d'un nonchalant coup de tête. Le scribe fut alors contraint à la retraite, désarmé comme il l'était, et rejoignit ses compagnons qui avaient observé la scène d'un regard mêlant la compassion et l'incrédulité. Bredouillant quelques excuses, Virgile les rejoignit les joues rouges de honte et probablement sur le point de pleurer sous le poids de l'embarras qui pesait sur ses épaules. Et il ne le ravala que lorsqu'il entendit des cris outrés s'élever au loin.

Il s'agissait d'un marchand, aussi gras que le Békipan qui faisait de larges moulinets avec son bras. Il tenait un large couteau dans sa main et défendait férocement son étalage. Le Békipan avait probablement tenté de s'approcher pendant que Virgile s'apitoyait sur son sort mais il faisait désormais les foudres d'un commerçant d'Aros. La poigne ferme, la voix forte, il vociférait des insultes à faire pâlir les moins prudes – autant dire que le scribe était livide – il menaçait l'oiseau du bout d'une lame aiguisée. Ce dernier tenta à trois reprises de se nourrir mais finit par renoncer lorsqu'un monstre sorti de la boutique pour le poursuivre. La bête avait beau être petite, elle avait été suffisamment teigneuse pour faire fuir le Békipan et au bout de quelques minutes, l'endroit avait retrouvé son calme.
Fasciné – et aussi un peu terrifié – Virgile s'était retourné vers Sire-Lumière, la mine penaude « Pourquoi n'as-tu pas fait ça pour moi ? ». La voix eut beau être d'une faiblesse critique, le Muciole lui fit de gros yeux outrés. Pas folle la mouche ! Il n'allait pas risquer de se faire manger par un oiseau qui le faisait au moins trois fois juste parce que celui-ci avait les intestins fragiles !

Bien que la mésaventure s'était achevée sans plus d'accrocs, Virgile ne parvint pas à se calmer complètement, et lorsqu'il récupéra son balais jeté au loin pour reprendre et terminer son travail, ses mains tremblaient toujours affreusement. L'entrain n'était plus là, seul restait son sens du devoir : il s'était engagé, il devait finir. Heureusement, le plus gros du travail avait été fait et il ne lui sembla pas voir plus d'importuns salir l'endroit avant son départ.

Et honnêtement, s'il en avait vu d'autres, il serait quand même parti, il avait besoin de s'isoler.

Mission accomplie !

Sur le chemin du retour, Virgile s'était peu à peu apaisé. Reprenant son souffle et ses esprits, il fit de son mieux pour également retrouver son entrain. Il devait au moins ça à ses partenaires qui l'avaient aidé dans cette tâche ingrate.
Ainsi donc, forçant un sourire sur son visage pâle, il avait finit par se retrouver à les porter tous les deux. Gargantua baillait régulièrement entre ses bras et Sire-Lumière s'était posé nonchalamment sur son épaule. A mi chemin entre la place et e Phare, il s'arrêta à une petite échoppe pour offrir une douceur à ses deux camarades et lorsqu'ils rentrèrent, il fit chauffer de l'eau pour prendre le tout accompagné d'un thé... Un thé amer car il ne savait pas le faire.

Pourtant, assis là, à son petit bureau et entouré de ses deux monstres, il se sentit plus apaisé et tranquille que jamais. Les murs du Phare les protégeaient du reste du monde, c'était rassurant, même le bruit de la ville ne lui parvenait qu'étouffé.

Là, il était chez lui.