Un Soleil à minuit

~Quelle est donc cette lueur
Que j'aperçois au loin
Feu follet dans la nuit
Qui échappe à ma main ?~

La Lune était haute et ronde dans le ciel nocturne. La nuit, entre printemps et été, était comme un étang paisible dont nulle onde ne vient troubler le repos quiet et silencieux. Et tout comme un étang, pour qui savait sonder les eaux troubles, ce calme n'était qu'illusion. A pas feutrés, des Goupixs regagnaient leur tanière sous le regard carmin des Noarfangs, et aussi vaporeux qu'une ombre, les Grahyènas se mettaient en chasse.

La Forêt Illusion bruissait au passage d'une brise tiède. Lastel lui offrit son visage, savourant la fragrance suave de l'hibiscus rouge et l'épice de l’Ylang-ylang. Electra sautait de branches en branches au-dessus d'elle avec l'agilité propre aux félins. Elle tenta un instant de la suivre du regard, mais c'était peine perdue : à peine pouvait-elle entrapercevoir ses mouvements. La Lixy était née ici, et cela crevait les yeux : son pelage bleu et noir se fondait dans la nuit parmi les feuilles d'eucalyptus, et le bal auquel se livraient ombres et raies de lune masquait sa silhouette souple.

Elle retint un violent sursaut lorsque la jeune créature atterrit près d'elle sans crier gare, se recevant comme une plume sur un ébène abattu par quelque tempête aux vents féroces, son trésor noir offert aux caresses des astres. Elle tenait dans sa gueule une branche de jasmin pourpre, qu'elle offrit à sa compagne en roucoulant. Avec un léger sourire, elle accepta le cadeau, faisant tourner distraitement le rameau entre ses doigts.

Il faisait chaud. Chaud et sombre, mais ce n'était pas un problème pour l'exploratrice, née à Aros la noctambule, réputée pour les Pokémons ardents qui la peuplaient. Sa peau laiteuse, aussi pâle que celle d'un albinos, était une caractéristique propre à certains natifs de la ville. D'un pas assuré, le duo glissait sur l'humus en silence, slalomant entre les arbres millénaires.

Elle était venue à Nimus pour rentrer à Aros, la région, malgré ses dangers, étant un raccourci certain depuis Scémède. De plus, l'itinéraire lui permettrait de réaliser une commande en souffrance : l'Apothicaire lui avait demandé de trouver la Solaria, ou Fleur-Soleil, une plante médicinale aux mille vertus affirmait un papyrus poussiéreux pluricentenaire. Et elle s'était jurée de jeter un coup d'œil à la Ville Engloutie …  

Il faisait vraiment chaud réalisa-t-elle soudain, trop chaud pour l'heure et pour la saison. S'il fallait une comparaison, elle avait l'impression d'être à Scémède en plein été. C'était terriblement désagréable à présent, et anormal. Au diable la Grande Morte et l'Apothicaire ! Elle allait découvrir de quoi il en retournait ! La curiosité la menait trop souvent par le bout du nez …

Ses pas la menèrent vers une clairière baignée d'argent : la clairière Clair-de-Lune. Ce lieu mystérieux dont elle n'avait jamais foulé l'herbe était représenté sur l'un des immenses tableaux de la Bibliothèque du Phare, cadeau d'un peintre de Kalos, aussi le reconnut elle instantanément. La chaleur était devenue infernale. Puis, dans un hoquet, elle vit la créature …

 

Attention !

Une chenille, de plus d'un mètre de long, étendue dans la clairière. Son corps était constitué de segments bruns qui disparaissaient dans une toison d'un blanc lumineux. Cinq cornes émergeaient du duvet éclatant, comme autant de rayons d'un soleil endormi. Plus si endormi que ça d'ailleurs, le petit cri que Lastel n'avait su retenir avait tranché le velours du silence comme une lame rouillée : la déchirure était irrégulière, désagréable à la vue, comme une loque âgée de plusieurs vies. Deux yeux céruléen s'ouvrirent sur la face noir, le corps s'éleva au-dessus du sol, porté par six petites pattes anthracites, et les flammèches deviennent brasier, roue ardente enveloppant sa crinière blanche.

Electra fait le gros le dos, bien que la créature semble plus effrayée que hargneuse, c'est plus fort qu'elle : l'insecte est un intrus sur sa terre natale. Des étincelles jaunes-bleues crépitent le long de sa fourrure, l'excroissance au bout de sa queue brille comme l'étoile dont elle a la forme. Elle se ramasse, retrousse les babines, gronde, abaisse une oreille à l'intention de sa compagne, elle attend le signal d'attaque. Si Lastel avait pu la voir en cet instant, elle aurait été médusée par cette transformation hallucinante en une machine de combat qui n'avait plus rien avoir avec la chatonne joueuse et un peu distraite. Peut-être même qu'elle aurait, après cela, cessée d'être surprotectrice avec la jeune Pokémon.

Mais Lastel, en ce moment, ne voyait rien ni personne. Elle n'avait qu'une unique pensée rationnelle, qui dévorait toute les autres, lui emplissait l'esprit au point d'en éliminer toute capacité de réflexion.

Je n'ai jamais vu ce Pokémon.

Son instinct de chercheuse avait été réveillé, et rien ne pouvait plus l'en détourner.

Je crois que c'est assez évident qu'il est Insecte et Feu, mais cette combinaison n'a jamais été constatée auparavant ! On dirait une torche ou, non, un soleil, si c'est une chenille, ça veut dire qu'elle évolue en papillon ? Ou est-ce qu'elle passe par la nymphe et la chrysalide avant ? Ou – non – elle –

Ses réflexions furent interrompu par un cri nerveux de la créature. On aurait dit le crachotement des braises qui s'éteignent, avec quelque chose de plus mélodieux en arrière plan, comme le chant du colibri. Ses pupilles allaient de l'humaine à la Lixy avec désarroi, et les jets de flammes se faisaient de plus en plus hauts et chauds.

Lastel était déconcertée. Elle avait bien compris qu'il – ou elle ? Elle n'avait pas pensé à demander à Electra –  avait peur d'elle, elle était asociale, pas débile, merci, mais elle ne savait comment y remédier. À l'École des Grues, il y avait des '' cours '' d'interaction avec les Pokémons ainsi que des séances d'équitation sur les Ponytas et les Galopas du Phare, mais les premiers étaient issus d'une longue lignée adoucie par la domestication et on tenait toujours les plus fougueux du haras loin des élèves, pour éviter quelque malheureux accident. Mais là, elle avait à faire à une créature totalement inconnue et sauvage, au beau milieu de nulle part, et elle n'avait aucune idée de comment s'y prendre.

Bon. Déjà, commencer par le commencement.

Du regard, elle intima au félin de se calmer, avant de se tourner vers le – ou la – euh … chenille de feu ?

- Ahem, euh, salut, moi, c'est Lastel, une exploratrice d'Aros, et voici Electra, qui m'accompagne. Je n'ai jamais vu ton espèce dans la région, tu es un étranger, non ?

Toujours un peu méfiant, le Pokémon acquiesça lentement. Un ange passa, l'humaine réfléchissant frénétiquement à un moyen de le convaincre de venir avec elle. Elle devait absolument en apprendre plus sur lui ! D'où venait-il ? Y était-il rare ? Commun ? Était-il comme le Prismillon qui possédait autant de variantes que de lieux sur Terre ou tous les membres de son espèce étaient-ils identiques ?

Prise d'une impulsion subite, elle s'avança dans la clairière, s'arrêtant à mi-distance pour déposer le rameau de jasmin sur l'herbe fraîche, dont les nuances émeraudes étaient devenues plus sombres et plus riches sous l'effet de la chaleur. – Comment fait-il pour ne pas déclencher d'incendies ? Il contrôlerait ce qu'il brûle ? – Puis elle se recula, laissant au Pokémon le temps de surmonter sa défiance.

Les chenilles, ce sont des petits papillons, non ? Et les papillons, ça aime les fleurs, non ?

Après un instant d'hésitation, il rampa lentement vers la branche fleurie pour la renifler sous toutes ses coutures. Puis, semblant avoir décidé que le présent était inoffensif, il commença à mâchonner feuilles et fleurs. A mesure qu'il grignotait, les gerbes de feu diminuaient en intensité, et la température baissait progressivement, signe qu'il s'apaisait. Une fois qu'il eut terminé, elle se racla légèrement la gorge.

- Ça te dirait de faire un bout chemin avec nous ?

Durant ce qui lui parut être le plus long instant de sa vie, la chenille resta parfaitement immobile et silencieuse. Puis sa lourde tête se mut de haut en bas, acquiescement sans mots et calme décision.

   

Bravo !

Lastel jura hargneusement comme son pied se retrouvait piégé pour la énième fois dans l'enchevêtrement inextricable des sous-bois de Nimus. Après plusieurs minutes de lutte acharnée, elle réussit enfin à le dégager, utilisant sa dague comme hachette pour se frayer un chemin dans les broussailles.

Arrivée à une clairière, elle s'écroula lourdement sur une souche plane. Hors d'haleine, elle resta silencieuse, et Electra débuta ses ablutions matinales – cela faisait cinq heures qu'elle se débattait contre la forêt ! Peut-être que les légendes avaient un fond de vérité, après tout …

Un mouvement la tira de ses ruminations aigres. C'était leur nouveau compagnon, qui avait décidé de les suivre. Tout comme la Lixy, il ne semblait pas le moins du monde dérangé par les ronces, contrairement à l'humaine qui devait à présent avoir autant d'épines dans les cheveux que de cheveux dans sa chevelure.

- Je ne sais toujours pas comment t'appeler, murmura-t-elle, encore à bout de souffle.

La chenille émit un petit trille pendant que l'exploratrice réfléchissait.

- Hmm … Voyons voir … Tu es une chenille, un petit papillon de feu … peut-être un nom de fleur associée au feu ? '' Fraxinelle '' ? On raconte que cette fleur s'enflamme quand on approche une flammèche d'elle … Mais c'est un peu trop féminin … Ou alors – non, attends je sais !

Elle se releva d'un bond pour s'accroupir face au Pokémon.

- C'est une fleur dont les teintes flamboyantes lui ont valu le nom de '' flamme '' en ancien arois … Ça te dit, '' Phlox '' ?

Il répondit par un petit cri enthousiaste.

- Eh bien, Phlox, bienvenu dans l'équipe !

Tandis qu'Electra s'approchait, la queue haute, pour féliciter leur nouvel ami, elle sentit un léger sourire étirer ses lèvres. Elle était impatiente de voir la réaction du Bibliothécaire quand elle déboulerais dans son repaire, une chenille de cette taille sur les talons. Ça promettait d'être drôle.

Et ça n'avait pas manqué.

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'Dé Nimus ' :