[Solo] - Une empreinte dans mon cœur

L'empreinte est fraîche, la faible l'odeur qui s'en dégage annonce un danger certain. Un peu plus loin, les broussailles, fracassées, dansent avec le vent. Le faible nombre d'arbre qui nous entoure ne laisse que peu d'imagination pour se dérober à la vue d'autrui. Mais aujourd'hui ce n'est pas moi qui souhaite me cacher. Au contraire, je traque et piste ces traces au sol depuis quelques heures maintenant, en vain. Le monstre qui délaisse derrière lui ce genre d'indice n'a probablement pas besoin de ressentir le danger, il doit être grand et imposant. Ses traces dans le bois, d'autres contre une pierre m'indique que ses griffes doivent en être de même. Une merveille de la nature qui malgré les avertissements, m'appelle à sa rencontre.

La vie qui m'entoure alors que le ciel devient sombre me distrait de ma tâche. Les mucioles et lumivoles dansent à présent et éclairent les environs dans leurs mouvements envoûtants. Les arbres abritent à nouveau les Noarfangs qui hululent pendant que les hurlements des canidés mettent en garde.

Enfin hors de la route principale, je cherche de nouvelles traces de ma lanterne et trouve les conséquences d'un combat acharné entre deux bestiaux. La violence des lieux accélère mon cœur, mes yeux cherchent dans l'ombre un mouvement et mes oreilles canalisent leurs sens pour écouter l'anormal. Dans le noir presque total, une forme se créer et me frappe au ventre. N'ayant le temps de réagir, je serre les dents, ma main droite posée sur le manche de mon katana. Prête à dégainée, une autre attaque a lieu. Cette fois-ci les muscles de mes jambes se déchirent à travers mon yukata, un petit cri de douleur m'échappe.

Laissant ma lanterne sur place, je me rends rapidement près du premier arbre que je trouve et y grimpe rapidement. Mon sang s'écoule lentement à travers mes vêtements alors que j'atteins une branche stable où je m'assois. Les bruits du combat recommence un peu plus loin, je n'arrive pas à y déceler quoi que ce soit depuis mon abri.

J'appuie sur ma blessure et la nettoie avec l'eau contenue dans ma gourde. J'applique ensuite un onguent que j'attrape depuis mon sac. Le saignement s'estompe rapidement, je suis hors de danger. Le combat des deux monstres qui s'éloigne, je me laisse retomber au sol pour y récupérer ma lanterne et continue ma traque. Vigilante cette fois-ci et prête à en découdre, je sors une lame de son fourreau lorsque je passe le prochain buisson.

Je me rapproche lentement, la dispute entre les bêtes terminées je me dirige vers les faibles grognements d'un animal agonisant. Un félin allongé au sol m'attend, c'est la première fois que je vois une bête pareille. Il dispose d'un gros corps noir, de griffes imposantes, d'une fourrure à pointe et d'une queue à forme d'étoile. Son flanc, tailladé plus profondément que je ne le suis m'attriste alors. J'attrape une de ses grosses pattes, sachant qu'il ne peut plus bouger et en compare le dessous avec les empruntes que je piste depuis le crépuscule. Pas de doutes, c'est la créature que je recherche. Je m'agenouille dans le silence, une larme coulant sur une de mes joues alors que la source de toute cette agitation m'apparaît enfin : une branche plantée dans le dos de la créature.

Je réalise donc que le combat qui a eu lieu n'est rien d'autre que cet animal effrayé qui a essayé de retirer la source de sa douleur. Mon regard cherche les alentours : un rocher taché de sang. L'animal à du s'y frotter farouchement durant sa panique. J'écoute encore quelques instants le souffle de la bête et y entend une douleur importante. Puis, dans mon moment de doute, une voix de mon passé me revient.

-Portes respect à quiconque, humains, animaux et nature. Différents, mais pourtant similaires, nous partageons tous une même source unique : la vie.

Un sourire naît dans mon cœur, les leçons de maître Itô restent encore emplies de sens malgré toutes ses années passées loin de lui. Je joins mes mains quelques instants et commence ma prière.

-Arceus, une vie s'estompe dans la souffrance. Un esprit qui a terminé son voyage dans ces terres que tu lui as créer. Par mon épée, je le retourne à toi.

Je me lève enfin et plante ma lame entre les côtes du félin pour abréger ses râles. Quelques secondes plus tard, j'en retire mon katana et mes pleurs s'écoulent sur mes joues rougies par mes actions. Une main sur mes propres côtes qui me tirent une grimace, je me retourne. Souhaitant regagner le chemin et trouver un abri pour la nuit, je marche blessée et troublée par les événements de la soirée.

Une fois arrivée au chemin de terre battue, je comprends que malgré ma fatigue et ma faiblesse d'esprit, la nuit est loin d'être terminée. Un autre bestiau se dresse dans la pénombre, à peine hors de la lumière tamisée de ma lanterne.

La créature commence à trembloter après que je m'avance de quelques pas afin qu'il entre dans la lumière. Immobile, il me regarde avec ses yeux troublants tout en cliquetant de sa mâchoire imposante. Sa taille est moyenne, peut-être un demi-mètre de hauteur et la couleur de sa carapace est identique à celle du sol sur lequel il se trouve. Sans ma lanterne et dans ce noir à peine éclairé de la lune, il serait parfaitement camouflé. Ses petites pattes commencent alors à frapper le sol : il me met en garde. Cet animal n'est pas bien imposant, un autre jour aurait pu être une proie, mais pas aujourd'hui. Ayant déjà tué une fois à l'aube et une autre au crépuscule, mon envie d'ôter la vie d'une autre créature s'affaisse presque instantanément.

Sans reculer, je cherche dans mon panier mes rations de la matinée: un morceau de viande enfoui à l'intérieur d'une feuille de baie des environs. J'y dépose un morceau à même le sol, retourne mon chapeau, le pose au sol et y déverse un peu d'eau contenue dans ma gourde. Pourquoi chercher à l'amadouer? Peut-être que nourrir cette vie me permet de racheter celle perdue plus tôt dans la soirée. Ou peut-être est-ce simplement la gentillesse d'Itô qui ressort à travers moi une fois de plus? Je recule très légèrement et m'accroupi et regarde l'insecte attentivement, curieuse de savoir ce qu'il décide de faire.

Lorsqu'il s'avance, son pas devient sûr et ses spasmes se stoppent petit à petit. Mes pieds s'éloignent automatiquement lorsque sa gueule s'agite un peu plus, que va-t-il croquer? L'offrande que je lui apporte, ou mes mains, encore salies du sang du dernier fauve? Soulagée de le voir s'attaquer à l'eau contenue dans mon chapeau, je baisse enfin ma garde et l'observe alors, un sourire naissant. Il n'y a pas que les paysages, le ciel et la pluie à observer dans la nature. Au contraire, tout est si fascinant, si différent et nouveau. Chaque jours où mes pieds foulent le sol de ce continent et me permettent de vivre ce genre de moment excusent presque les actions nécéssaires à ma survie. Ils atténuent la douleur de la vie de solitude que j'ai choisie.

Son repas terminé, il s'avance vers moi courageusement. La tête la première, il vient se blottir contre ma main hésitante. Sa peau rugueuse et légèrement humide me transperce de son froid. Son corps tout rond s'éloignant enfin, je me redresse et récupère mon chapeau avant de reprendre mon chemin. Regardant derrière-moi de temps en temps, je peux le voir trotter pour rester dans la lumière qui s'émane dans mes alentours. M'arrêtant soudainement pour tenter de comprendre ce qu'il essaie de faire, je l'aperçois se figer comme à notre rencontre et ses pattes tremblotes à nouveau.

-Qu'essaies-tu de me dire? Ai-je chuchoté.

Ma voix l'atteignant, la petite créature se met à gigoter tout en abaissant ses crocs. Peu à peu, il s'éloigne de la lumière mais attend presque à la bordure de celle-ci. Me demande-t-il de le suivre? Me remercie-t-il simplement? Pour apprendre la raison de ses agissements, je fais un pas en avant et observe s'il s'éloigne à nouveau de la lumière. Il émet un petit jacassement aigu et s'en va dans la pénombre où il se fige et où ses oscillations reprennent.

Amusée, je décide de suivre le petit impatient. Nous marchons en dehors du sentier, bien que le danger soit présent autour de nous. Je pose une main sur mon Katana, prête à me défendre. Après une trentaine de minute, nous arrivons à une étroite crevasse dans les rochers du mont. Son nid, peut-être, où est-ce seulement un abri qu'il a adopté pour la nuit? Lui, entre sans trop de problèmes, moi, je dois poser mes genoux au sol afin de pouvoir avancer. Les rochers sont étrangement chaud ici et après avoir ramper quelques secondes, nous nous retrouvons dans une petite caverne un peu plus large.

Ma respiration se fait de plus en plus lourde et lorsque je découvre qu'il y a une trentaine de petites bête pareil à mon guide, elle se coupe net pendant que mon coeur s'accélère. Je dégaine mon Tantô qui résonne de sa lame dans les environs et adopte une posture défensive. Mon hôte me regarde alors d'un air étrange et émet un babillement légèrement plus grave qu'auparavant.

-Oohh, fais-je, soulagée.

Me rapprochant d'un de ses compagnons, je réalise en fait que ce n'est qu'une coquille vide. Un corps mué et délaissé derrière une créature qui a quitté cet endroit. La poussière qui s'accumule sur chacune des petites carapaces vides m'indiquent que l'ancienne famille du bestiau est partie il y a longtemps.

Une autre vie solitaire, comme la mienne, mais lui, n'a probablement pas eu le choix. Je m'assieds en seiza malgré le sol rocailleux et tend ma main vers l'être abandonné après avoir rengainer ma lame. Je souris, attristée par l'histoire probable de la petite bête. Du bout de sa tête, il se réfugie dans la chaleur de ma peau. Mes yeux se ferment peu à peu alors que je laisse mon corps gentiment affronter le sol. L'animal maintenant entièrement dans mes bras, je m'endors, lui offrant ma confiance.

Le lendemain, je m'étire rapidement quand je reprends conscience. Lui, n'est plus là et la lumière de ma lanterne non plus. Heureusement, le soleil qui s'est levé éclaire suffisamment la grotte pour savoir de quel côté se trouve la sortie. Je rampe et me redresse une fois dehors, tapotant sur mes vêtements pour y secouer la poussière qui s'est installée. Je nettoie rapidement mes avant-bras avec le restant de ma gourde et n'oublie pas d'y boire un peu aussi.

Ma route se dessine d'elle-même : les empreintes de mon ami de nuitée m'amène à un minuscule court d'eau. Elles me ramènent ensuite sur ce même sentier que j'ai suivi pour me retrouver si haut dans les montagnes. Peu à peu, sur ce chemin que je suis, elles disparaissent et je suis à nouveau seule. Je reste là, immobile et une larme descend sur ma joue gauche.

-C'est une vie de solitude, de voyage et de découverte. Être attaché au passé, équivaut à s'interdir le présent et le futur. Ai-je récité.

La voix d'Itô résonne une fois de plus. Ces leçons qui autrefois ont sonnées comme des réprimandes. Je relève le regard, réalisant que ma tristesse me gagne plus qu'il ne le faut. Est-ce les événements de la veille ou ma solitude qui me rend aussi abattue? Quoi qu'il en soit, les préceptes de mon maître m'aide à chaque fois à me recentrer, à regagner mon chemin.

Ma marche continue en direction des sommets. Une fois arrivée tout en haut, je pourrais y apercevoir un nouvel horizon. Un paysage qui ne suit pas mon réel but, mais qui est la raison pour laquelle j'ai quitté le sanctuaire il y a de cela des années. Aujourd'hui, mon allure s'adoucit. Mes pas, encore fatigué des événements de la veille attaquent de plus en plus mes muscles tandis que la pente devient plus raide encore.

Quelques heures passent avant que j'établisse un petit feu de camp, pour reposer mes douleurs croissante. D'ici, j'ai une belle vue et mon regard se fixe sur le sentier que j'ai arpenté : la vie active de toutes sortes de créature embellie de toute sa splendeur le paysage montagneux et rocailleux qui entoure ce chemin de terre battue. Je m'allonge dans le peu d'herbe qui s'y fait présent et au bout d'une heure peut-être, j'y vois une petite boule s'y déplacer. Je le reconnais toute suite : il s'agit de l'insecte de la veille.

Sans pouvoir m'en empêcher, un sourire se dessine sur mon visage. Alors que sa silhouette se fait de plus en plus visible, je me pose alors de nouvelles questions. Souhaite-t-il continuer à me suivre? Se sent-il délaissé? Pourra-t-il survivre sans l'aide de quelqu'un? Après tout, il parait bien plus maigre et petit que les coquilles vide de la caverne. Et alors que les pattes de la bestiole s'accélère lorsqu'il m'aperçoit enfin, une dernière question me survient. Est-ce égoïste de le vouloir à mes côtés lors de mes voyages? Je détourne les yeux quelques instants lorsque je réalise que je ne peux simplement pas forcer la bête à me suivre. L'enlever de son terrain naturel serait mortel pour une créature comme celle-ci, si elle décide de s'aventurer en dehors de ces montagnes seule. Je lui laisserais donc le choix, comme celui que j'ai eu quand j'ai quitté ces lieux pour la première fois.

-Te revoilà, lui dis-je d'une voix douce et timide.

La bouche ouverte sur un plein de baies diverses, il se rapproche d'un air fier. A quelques pas de moi seulement, il dépose les fruits sur le sol et les pousse gentiment de son crâne dans ma direction. Certaines retombent sur la pente et lui, court derrière pour les rattraper. Une fois à nouveau toute réunie, je me rapproche d'un pas léger et m'abaisse à sa hauteur. La paume de ma main dans l'air, je lui propose une caresse qu'il accepte immédiatement. Je la retire ensuite et l'éloigne un peu alors que lui se jette presque dessus. Nous jouons de la sorte pendant que nous échangeons et dégustons ses baies.

Le moment d'en avoir le coeur net arrivé, je me redresse et plie le camp sous le regard interrogateur du petit cueilleur. Une fois prête à reprendre la route, j'allume la lanterne avec un reste de braise et ce, malgré le fait qu'il y ait encore assez de lumière pour me guider. Puis, j'avance de quelques pas sur ce sentier montant que je suis depuis le jour d'avant. Je me retourne enfin pour lui poser la fameuse question. La même demande qu'il m'a faite la veille. Le même choix qui m'a amené en ces lieux.

Mon regard inflexible, j'attends. Un long silence s'installe, les arbres tremblent et s'entrechoquent dans le vent qui se lève. Des gesticulements que la bête imite jusqu'à ce qu'il se décide enfin. Il marche lentement et me dépasse légèrement puis se retourne comme lors de notre première rencontre.

-Soyons seuls ensemble, lui ai-je dis en continuant sur ma route, sur notre route.