Peindre l'hiver en blanc

Le vent glacial fouettait son visage comme la caresse d'un jour nouveau. Accoudé aux rebords en bois du gaillard d'avant, le capitaine fixait l'eau avec intensité. De temps à autre, il pouvait voir une forme dorée se dessiner à travers le voile bleu, et par moment, il admirait Ino qui sautait en dehors de l'eau. Elle l'avait suivit, même dans ces eaux froides. Darius avait peur que sa compagne de voyage ne l'abandonne au profit de températures plus clémentes.

- Elle est toujours là ?

Le capitaine se retourna et fit face à son interlocuteur, son bras droit et meilleur ami, Patrocle.

- Toujours, lui répondit-il en souriant. J'ai sous estimé sa loyauté.
- Qu'elle soit méfiante désormais, dit-il en observant les bateaux des pêcheurs. Ici, elle n'est plus en sécurité.

Darius hocha la tête en jetant un œil à la surface de l'eau. Ino avait disparue.

- Elle sait ce qu'elle fait, affirma-t-il avant d'avancer vers le bout de son navire.

La terre était toute proche, et la ville blanche qui se dessinait devant eux, s’appelait Aros. Quelques marchands étaient au courant de leur arrivée sur les quais. Le navire possédait des stocks de baies exotiques qui allaient peut être se vendre à bon prix, ou être échangés contre une marchandise intéressante. Tout était prévu pour que leur couverture soit parfaite. Mais en réalité, le Cassandra s'approchait des côtes d'Hastérion pour une raison précise. L'argent.

Les hommes de l'équipage se mirent au travail afin d'amarrer correctement le navire. Darius, quant à lui inspira profondément. Cela faisait plusieurs mois qu'il n'avait pas marché sur la terre ferme. Une fois sur le quais, accompagné de plusieurs hommes il remarqua que son navire paraissait plus soigné que ceux des autres.

- Trouvons les marchands avec qui nous pouvons faire commerce.

Mais le capitaine ne l'entendait que d'une oreille. Ses yeux étaient rivés sur la foule qui grouillait sur les quais, et un sourire enfantin naquit sur son visage.

- Je te laisse t'occuper de cette charge mon ami. Moi, je vais me dégourdir un peu les jambes.

Si le visage de Patrocle s'obscurcit, Darius, lui, était tout sourire. Accompagné d'un homme de main, il savait parfaitement que la situation était sous contrôle. Il pouvait laisser ses affaires à Patrocle sans être soucieux. Pour l'heure, c'était cette ville blanche qui l'intriguait. Ses pavés grisâtres et ses bâtiments blancs comme le lait lui rappelait curieusement sa contrée d'origine...

Darius admirait le fourmillement des gens qui s'activaient sur les quais. Des marchands, des marins, des filles de joies, des enfants et quelques nobles. Ce spectacle l'émerveillait toujours autant. Il aimait ses hommes et ne les remplacerait pour rien au monde, mais bon dieu ce que ça pouvait lui faire du bien de croiser d'autres visages. Le matelot qui l'accompagnait, Aclée dit " Le Borgne " pour des raisons évidentes, faisait voyager son œil de jouvencelles en jouvencelles, et son visage s'illuminait grâce à son sourire naissant. Toutes les cinq minutes, il pointait du doigt une femme, en donnant de grands coups de coude à son capitaine, de manière très familière.

Comment Darius aurait pu lui en vouloir ? Cela faisait maintenant des mois et des mois que ses hommes n'avaient pas senti la chaleur des cuisses d'une femme. Et même lui, sentait ses instincts primaires lui chatouiller le bas ventre lorsqu'il croisait certaines Arosiennes à la peau blanche comme le lait.
Encore une fois, Aclée donna un coup de coude à son supérieur, et Darius soupira, désormais assez agacé par le comportement puéril de son matelot.

- Capitaine, dit-il, doigt tendu vers sa droite, ne serait-ce donc pas le même monstre qu'avait Jacky ?

Le brun fronça les sourcils. Un muciole. Ces créatures gracieuses n'ont rien à faire sur un bateau et pourtant, Jacky n'a pas pu s'empêcher de le ramener avec lui lors de leur dernière escale. La pauvre bête fut avalée par un monstre marin quelques semaines plus tard, alors qu'il volait trop près de la surface de l'eau.
En s'approchant de la créature en question, le duo vit apparaître un autre monstre, moins gracieux toutefois et un homme presque en sueur qui se tenait à côté d'une caisse remplie de papier. Si Darius hocha la tête respectueusement face à l'inconnu, le Borne lui n'en fit rien, trop occupé à regarder le muciole.

- Cette créature est à vous ? Demanda le prince. Vous en avez de la chance.

Les yeux gris du capitaine se posèrent de nouveau sur la bête volante. Ah ce que cela pouvait faire du bien de rencontrer de nouvelles personnes. Aclée quant à lui, s'était déjà détourné du monstre pour reluquer une autre demoiselle.
Il se demandait à quel moment cette journée allait enfin prendre fin, pour pouvoir trouver refuge dans les bras chaud et doux d'une Arosienne peu farouche.

Et alors qu'il soupirait à s'en fendre l'âme et qu'il se lamentait sur son sort, des éclats de voix le firent sursauter. Ca venait de son dos et il le garda soigneusement tourné. Tiré de ses pensées, il lorgna sur le Muciole qui s'était figé aussi. Sire-Lumière ne tournait pas le dos à celui qui venait de pointer un doigt grossier vers lui et, s'il se targuait de ne pas être aussi fragile que Virgile, l'attention le mit soudainement mal à l'aise. Que faisait ce gros balourd borgne à se rapprocher de lui ?
Plus vif que son bidon rond le laissait deviner, il s'envola brusquement pour trouver refuge dans les bras d'un Virgile qui étouffa un glapissement de surprise. Comme si lui avait la capacité de faire quelque chose si on s'en prenait à Sire-Lumière ? Il comptait généralement sur lui et sur ses talents de monstre pour se tirer des mauvais pas, pas l'inverse. Pour autant, il ne le lâcha pas et tenta de faire barrière de ses bras devant l'oeil trop insistant du marin.
Ils étaient deux en réalité et Virgile sentit un poids trop grand lui écraser les épaules. Etaient-il là pour les livres ? Ohhh... Il était dans de beaux draps si c'étaient le cas. Ces hommes étaient des colosses et le plus grand le dépassait aisément d'une ou deux têtes... Pour autant, le géant inclina respectueusement sa tête en guise de salut et, plus par réflexe que parce qu'il voulait engager la discussion, Virgile l'imita.
Si le malaise avait une odeur, il était convaincu qu'il empestait à l'heure actuelle. Gargantua se rapprocha de ses jambes alors et le scribe ne sut dire si c'était parce qu'il se sentait dérangé lui aussi ou simplement parce qu'il en avait envie.

Lèvres pincées, Virgile oscillait donc entre ignorer ces personnes – peu indiqué et peu poli – ou tentait de voir s'ils avaient besoin de renseignement. Ils avaient l'air de marins, ils étaient probablement nouveau à Aros et il n'était pas rare pour les étrangers de demander des renseignements sur la Ville Blanche. Le bougre espérait honnêtement que c'était le cas et qu'il serait en position de répondre afin de ne pas les courroucer. Pourtant, la question qui lui fut adressée ne fut pas celle escomptée.
Si le Muciole était à lui ? Son regard hébété passa du visage de l'inconnu à celui de Sire-Lumière où il s'attarda un moment. Ils s'échangèrent alors un air aussi perplexe l'un l'autre avant que Virgile ne déglutisse. Il était resté silencieux bien trop longtemps pour une conversation polie.
Se dandinant nerveusement d'un pied à l'autre, il se racla la gorge comme si ce petit rituel était réellement capable de l'aider à mieux s'exprimer. Peine perdue. La question était simple et appelait à une réponse simple qu'il avait été incapable de donner aussi rapidement qu'il l'aurait fallut. Il hésita encore plus longuement alors sur la marche à suivre. Devait-il donner plus d'informations pour justifier le délais d'attente ?
C'était stupide, il n'était pas resté muet plus de quelques secondes en réalité, mais... Oh Arceus qu'il se sentait mal, avait-il des aigreurs d'estomac ? Non... Mais ça lui tordait tout de même les tripes. Effaçant donc l'esquisse d'une grimace de malaise, il afficha un sourire crispé et mal assuré.

« Hum... Effectivement... Enfin... Euh... Sire-Lumière est... Comment dire... Plus un compagnon de vie que... Hm... Un simple... Monstre domestique ? » Le Muciole lui lança un drôle de regard qu'il ne sut déchiffrer. Etait-il content d'être perçu comme plus qu'une bête aux yeux du scribe ? Ou simplement agacé de sa manie à toujours terminer ses affirmations par des questions ? Virgile baissa le regard, piteusement. Lui s'en voulait en tout cas.
Cependant, il ne laissa pas ses tourments internes inviter les inconnus à rester plus longtemps en sa compagnie. Désireux de les faire s'éloigner le plus vite possible, il décida de prendre plus ou moins l'initiative sur la raison qui les avait poussé à lui adresser la parole. Sans doute ne s'étaient-ils pas approchés uniquement pour admirer un Muciole... N'est ce pas ?

« Hum, vous... Vous cherchez quelque chose ? » souffla-t-il, empêtré dans une angoisse qui lui faisait trembler la voix.

Si le Borne avait déjà détourné son œil pour reluquer de nouvelles dames, le capitaine, quant à lui, fixait Virgile sans dire un mot. Enfin, il attendait une réponse, pour tout dire. Le scribe était clairement gêné, il ne fallait pas être un homme de science pour le savoir. Sa nervosité était palpable, et celle du muciole l'était tout autant. La mouche s'était réfugiée dans les bras du blond et Darius ne put s'empêcher d'arquer un sourcil, surpris par cette réaction qui lui paraissait démesurée. Il tenta bien de tourner le regard vers Aclée, pour avoir son avis sur la situation, mais ce dernier était bien trop occupée à se rincer l’œil qu'à s'intéresser aux discutions de son capitaine.

Fort bien... Pensait-il. Aclée allait avoir besoin d'une bonne leçon. Son rôle était de l'accompagner, quel que soit sa destination et de surveiller les alentours. Une paire de cuisse, aussi ferme et blanche soit-elle, ne devait pas ne détourner de sa mission première.

Cette frustration fut aussi bien cachée qu'il le pouvait. Tout d'abord, son matelot n'accomplissait pas la tâche demandée, mais en plus de cela il venait visiblement de s'adresser à un sourd qui ne savait pas comment répondre. Ou pire: à un bègue. Si c'était le cas, la discussion allait être longue.

Finalement, et contre toute attente, l'homme répondit à son interrogation. Il était hésitant, et n'avait toujours pas lâché le muciole de ses bras. Avait-il peur d'être volé ? Cette mouche n'était pas tellement prisée sur le marché noir. Aucun de ses matelots ne s'en prendrait à elle, ça c'était certain. Exposant son plus beau sourire, Darius se força à se montrer poli. C'était ce qu'on le lui avait appris, lorsqu'il était jeune prince.

- C'est très charmant. J'en connais quelques uns qui devraient suivre vos idéologies.

La fin de sa voix fut plus grave, sévère. Ses yeux gris s'étaient posés sur le Borne à côté de lui. Lorsqu'Aclée s'en rendit enfin compte, il perdit presque immédiatement son sourire de simplet, et se concentra de nouveau sur Virgile et ses monstres. Il savait que ce regard là, était un rappel à l'ordre qu'il ne devait pas prendre à la légère.

Si ils cherchaient quelque chose ? Une taverne où les femmes de petites vertus affluaient, certainement. C'était ce que tout l'équipage espérait, pour festoyer leur arrivée sur les terres d'Hastérion. Darius en revanche, avait une autre idée derrière la tête.

- Maintenant que vous me le demandez, j'aimerais savoir où se trouve le phare. L'on m'a parlé d'une bibliothèque où je pourrais peut être me dégoter une carte d'Hastérion pour faire affaire...

En entendant ces paroles, Aclée devint blême.

- Mais... Messire...
- Une fois cette carte en main nous aurons tout le loisir d'apprécier les joies d'Aros, dit-il sévèrement à l'intention de son matelot. Veuillez excuser ce brave, vos femmes ne le laisse pas indifférent.

Le prince fit un clin d'oeil à l'attention du scribe. Une chose était certaine: il savait où se trouvait cette bibliothèque. Les parchemins qui dépassaient de sa caisse en bois, pouvaient en être témoins. Soit ils en sortaient, soit ils allaient y être entreposés.

Le sourire que lui adressa l'étranger eut le mérite de détendre Virgile. La carrure des marins et le fait qu'ils soient deux ne le mettaient pas particulièrement en confiance mais qu'on fasse l'effort de lui parler sans animosité ou qu'il n'ait l'impression qu'on cherche à lui dérober quelque chose l'avait aidé à respirer plus fluidement. Il avait tout de même gardé les lèvres farouchement pincées, se dandinant nerveusement. Sire-Lumière avait finit par rejoindre son épaule pour poser un regard curieux sur les deux hommes une fois que le plus grand – le capitaine – ne rappelle à l'ordre son suivant.
Ainsi, sous le compliment adressé au scribe, se dissimulait un rabrouement que ce dernier ne put s'empêcher de prendre pour lui même – aussi stupide ce réflexe fut-il –. Puis, les deux pairs de regards se reposèrent sur lui et il déglutit, tâchant au maximum de garder contenance et de se rassurer : ils n'étaient pas en train de le menacer, au contraire, il n'y avait aucune raison de panique, n'est ce pas ? Oui.
A l'inverse de Virgile, le capitaine ne tarda pas à sauter sur l'occasion pour répondre à sa question et l'informer qu'il cherchait effectivement à se rendre au Phare et par extension, la bibliothèque – il déglutit de nouveau, par simple réflexe –. Selon ses dires, il cherchait une carte et le scribe ne put s'empêcher de penser que son lieu de travail était effectivement le meilleur endroit pour en consulter une... Il n'était en revanche pas certain que l'on puisse en emprunter une aussi facilement mais il garda sa langue dans sa poche : il était copiste, ce domaine là n'était pas le sien. Ceci dit, à la mention de la bibliothèque, l'homme borgne émit un semblant de protestation que son capitaine n'hésita pas une seconde à balayer d'un ton autoritaire.
Encore par réflexe, Virgile pinça les lèvres, d'autant plus lorsque le colosse se tourna vers lui pour excuser le comportement de son compagnon, lui expliquant qu'il n'était pas insensible au charme de la gente féminine. Oui... Il lui semblait avoir remarqué que l'oeil valide de l'homme se plaisait à courir les jupons qu'il ne pouvait encore tenir. Ceci dit, le scribe n'émit aucun commentaire, trop occupé à ne pas se montrer insolent afin d'éviter de quelconque représailles et ce malgré le clin d'oeil complice qu'on lui avait adressé.

Se raclant la gorge, il tourne un regard vers la cime du Phare qui dépassait du port, se rendant compte que même si on le voyait, il n'était pas aisé de s'y rendre à pied sans se perdre. Et cette fois-ci, il mit moins de temps à répondre à la question de l'inconnu.
« Je... Hm.... Je- J'y travaille... » siffla-t-il en lorgnant nerveusement vers la Tour Blanche avant de poser un regard vers le marin et de le détourner presque aussitôt vers sa caisse remplie de livres et de parchemins. « Je dois, hum, m'y rendre. Je-... » il hésita un instant, s'humecta les lèvres et se maudit de songer à proposer cela avant de se jeter à l'eau. « Je pourrais... Vous y conduire ? Peut être ? Si vous voulez y allez... Maintenant ? » Et plus il parlait, plus sa voix faiblissait et ses épaules s'affaissaient. Sire-Lumière lui tapota gentiment le dos, fier des efforts qu'il pouvait faire alors que Virgile lui même sentait le poids de la stupidité peser sur son être.

Cela ne l'empêcha tout de même pas d'avouer et de prévenir à mi-voix qu'il devait tout de même porter sa caisse et qu'il avait grand mal à la soulever. Les escaliers lui avaient forgés des mollets en béton, mais il n'était pas assez fort pour porter une douzaine d'encyclopédies à lui seul.

Quelle misère...

Le capitaine resta patient. Très patient. Avec l'homme en face de lui, il en fallait beaucoup, de la patience... Il se dandinait lamentablement, épris par la peur. A peine avaient-ils posés les pieds sur la fameuse Hastérion, qu'ils commençaient à faire peur aux habitants. Où était-ce simplement l'habitant en question, qui était de nature peureuse ?

Quoi qu'il en soit, s'il y avait un qui était mécontent, c'était bien le Borne. Lui qui n'avait plus qu'un seul œil pour reluquer les dames, devait se taper le scribe peureux. Et en plus, il n'allait pas pouvoir tirer son coup de suite. Et ça, c'était une vraie tragédie pour les marins qui reviennent de loin.

Le prince inspira profondément, et croisa les bras. Involontairement, il était entrain de perdre patience. Les longs silences qui s'établissaient à chaque fois qu'il avait fini de parler, commençaient à le rendre nerveux. Bon sang, est-ce que tous les hommes d'Aros sont comme lui ? Où ont-il mis les pieds ?
L’œil d'Aclée de dirigea vers Darius, lourd de sous-entendu. Ils auraient très bien pu brusquer un peu le scribe, pour qu'il aille plus vite, pour qu'il parle, qu'il donne une direction à suivre. Mais le capitaine ne brocha pas. Ils n'allaient pas créer des embrouilles alors qu'ils venaient à peine de poser les pieds au port d'Aros.
Finalement, le blond céda, et leur informa qu'il travaillait là bas, au phare, et qu'en plus monsieur devait s'y rendre. En jetant un coup d’œil à la caisse remplie de parchemins et autres objets d'érudit en tous genres,  Darius eut un léger sourire satisfait. Ses intuitions avaient été confirmées: l'homme se rendait bien à la bibliothèque.

- Avec grand plaisir ! s'exclama le capitaine en étendant ses bras. Merci de votre hospitalité.

Il était soulagé que le scribe leur propose de les accompagner. Encore un peu plus, et Darius aurait jeté l'éponge avec lui. Le sourire élégant et chaleureux de l'homme se transforma rapidement en quelque chose de froid, d'autoritaire.

- Aclée. La caisse.

D'un mouvement de menton, le prince désigna l'objet débordant de papier. Le Borne quant à lui, hocha rapidement la tête, et souleva la caisse contre son torse. Malgré les habits hivernaux, on pouvait très distinctement s'imaginer les épais muscles d'Aclée. Un homme de main très efficace.

- Bien, reprit Darius, allons y.

L'homme engagea quelques pas en avant, et sourit de nouveau.

- Oh, quel impoli je fais, j'en oublie les bonnes manières. Je suis le marchand Darius, pour vous servir dit-il en étendant une main virile vers le blond.

Derrière eux, Aclée roula de l’œil. Il détestait quand son capitaine faisait son numéro.

Le marin parlait fort et avec exubérance. Non seulement il était tout le contraire de Virgile, mais en plus, il le mettait mal à l'aise. Oh, objectivement, ce n'était pas de sa faute, mais le scribe luttait énormément pour ne pas se recroqueviller sur lui même à chaque éclat de voix. Sire-Lumière, lui, ne se donnait pas cette peine et avait préféré se cacher dans le dos de son humain, peu désireux de se voir escorter par les deux hommes des mers. Gargantua, quant à lui, s'était simplement accroché à la jambe de Virgile. Pas par peur mais plus par commodité, peu de choses semblaient être capables troubler le Lombre.
En revanche, si Virgile avait laissé échapper le fait que sa caisse remplie d'encyclopédies et de parchemins étaient trop lourdes pour lui, il ne s'était pas réellement attendue à ce qu'on la porte pour lui. En toute honnêteté, il avait pensé qu'on lui rirait au nez, et que ces monsieurs auraient alors cherché un autre guide, plus rapide – probablement plus cher aussi –. Alors s'il ne sursauta pas lors du mouvement – un miracle, vraiment –, il inspira pour dire quelque chose dans l'urgence... Et se retint. A la place, il balbutia un remerciement qui passa probablement inaperçu, prenant soin de ne pas trop croiser son regard avec celui du borgne. Trop inquiétant.

A la place, il récupéra rapidement Gargantua au sol et s'empressa de prendre la tête lorsque le colosse qui lui avait demandé son chemin esquissa quelques pas. 'Allons-y' avait-il soufflé avec entrain alors que Virgile l'avait perçu comme une sentence. Inquiet, quoique reconnaissant de l'aide apporté, il avait fait quelques pas en avant pour ne pas faire attendre plus longtemps les deux hommes. Jusqu'à ce qu'on l'interpelle à nouveau et qu'il se stop net dans sa marche.
Le sourire du marin était éclatant, ses manières étaient enthousiastes, un peu trop peut être. Se rappelant de ses bonnes manières, il s'était présenté avec panache et Virgile l'avait alors observé d'un peu plus près. Il était grand, bien bâti et semblait aussi solide qu'un roc. Il s'appelait Darius et disait être marchand. Virgile se demanda alors presque instantanément d'où il venait, et quel genre d'endroits il avait bien pu visiter. Les voyages le fascinaient et s'il n'avait pas le charisme pour être marchand, il savait cette profession propices aux rencontres. Ces pensées semblèrent le détendre un minimum et un sourire vague mais poli étira ses lèvres. Lorgnant un bref instant sur la main qui lui était tendue, il l'attrapa avec un manque d'assurance flagrant et répondit du tac-au-tac « Virgile le... Hm.. Scribe. »
Il aimait sa profession, sans aucun doute, mais soudainement, elle lui sembla bien insipide comparé à ce que venait d'annoncer le marin. Difficile alors de la présenter avec fierté. Pour autant, il fit de son mieux pour paraître un minimum assuré – peine perdue – en serrant l'imposante main de Darius. Elle était plus grande que la sienne, plus rugueuse, façonnée par le travail en mer. Elle lui semblait plus chaude également. Lui avait des mains de scribe, plus fines, moins fortes, et surtout plus froides. Il avait toujours eu les mains froides, il s'en serait presque excusé s'il ne pouvait pas mettre leur température sur le compte du climat arosien.

Les présentations ainsi sobrement réalisés, Virgile se racla la gorge nerveusement, esquissant un pas de côté pour reprendre la route, articulant un timide « Hm... C'est par là. » à l'attention des deux étrangers.
Et contrairement à ce que l'on aurait pu penser, le scribe marchait plus vite qu'il ne parlait. Sans entrer dans la marche soutenue, il connaissait assez bien les rues de sa ville pour se repérer aisément et ne pas avoir à s'arrêter à chaque tournant pour réfléchir. En revanche, il se retournait bien trop souvent pour vérifier qu'on le suivait toujours. Craignait-il pour sa livraison, ou que ceux qui le suivaient se perdent ? Un peu des deux.

A plusieurs reprises, il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, entamer une conversation pour dissiper un silence qui lui semblait bien pesant. Mais jamais il n'osait aller jusqu'au bout de son initiative et pinçait les lèvres bien régulièrement de gêne et de contrariété de se retrouver bien incapable d'aligner deux mots. Il n'avait rien de bien intéressant à dire de toute manière...