Meutes.

- Messire, êtes vous sûr de vous ?

La tempête battait son plein. Et pourtant, Darius ne pouvait se résoudre à abandonner cette quête. Accompagné de vingts hommes, dont Patrocle, Aclée dit le borgne et Jacky entre-autres, le pirate s'était lancé dans une aventure assez folle: trouver un trésor.

Assez commun vous me direz, pour un pirate que de trouver des trésors. Mais dans la vraie vie, ce n'était pas une mince affaire. Il fallait une documentation solide, des cartes fiables, un personnel compétent et actif. D'autres paramètres rentraient également en compte comme par exemple, les bandits qui pouvaient leur couper la route, les obstacles éventuels à franchir ou encore, la météo.

Beaucoup des critères étaient réunis: la capitaine du Cassandra avait réussi à trouver plusieurs cartes de Nimus à la bibliothèque d'Aros, il avait un équipage sur qui il pouvait compter, et connaissait beaucoup de rumeurs concernant le palais du roi englouti dans le lac. Tout aurait pu être parfait, mais la météo en avait décidé autrement.
Le capitaine ne s'était pas démonté au début. Il avait fait un grand discours pour remonter le moral de ses troupes, en leur promettant des richesses et des femmes une fois le trésor trouvé. Mais la journée touchait presque à sa fin, et la tempête était toujours aussi violente.

- Darius, nous ne pourrons continuer longtemps ainsi.

Patrocle avait raison. Il avait toujours raison. Avec la pluie et le vent, les vingts hommes se fatiguaient beaucoup trop. La nuit n'allait pas tarder à tomber, et il fallait qu'ils se reposent.

Le capitaine s'arrêta. Les autres l'imitèrent instinctivement, attendant que leur chef rende son verdict.

- Installons nous ici pour la nuit, déclara-t-il, Lucien Marc et Jacky, vous monterez la garde.

Tous s'activaient. Les hommes commençaient à monter le campement, tandis que les trois désignés délimitaient un périmètre de sécurité. Darius observa la forêt un instant, les yeux plissés. Au bout d'un moment, il soupira, et aida ses hommes à monter le campement. Il avait comme un mauvais pré-sentiment...

Attention !

Deux Cabriolaine shiney ♀ et un Cabriolaine shiney ♂



Un Rocabot shiney ♂ et une Rocabot shiney ♀

Darius a bien raison de se méfier: à Nimus, les humains sont rarement les bienvenus. Alors qu'ils montent le campement, ce groupe de Pokémon approche depuis les ombres. Que font-ils sur leur territoire ? Si les Cabriolaine et les Rocabots sont arrivés à une paix, leur hospitalité ne s'étend pas à ces étrangers. Les uns montrent les crocs tandis que les autres grattent le sol et inclinent la tête, cornes en avant. Le message est clair: hors de leur vue.

Je n'avais jamais mis les pieds sur un bateau auparavant. Je ne m'étais jamais non plus intéressée au fonctionnement de ces derniers, qui étaient pour moi réservés à ceux qui en avaient fait leur métier : navigateurs, explorateurs, soldats, pêcheurs, pirates, pourquoi pas. L'idée d'embarquer à bord de l'un d'eux s'était faite un peu sur un coup de tête, c'est vrai. J'avais plus songé au fait de si je pouvais le faire qu'au fait de si je devais le faire.
C'était une certaine fierté de pouvoir se glisser dans une caisse de transport, une petite victoire du quotidien, une vengeance quant au fait de faire la taille d'un gosse... Je ne m'y étais presque pas sentie à l'étroit. Le turbulent Pokémon qui faisait la route avec moi avait néanmoins eu plus de mal. Pas serré pour un sou, il était si actif en temps normal que ce confinement le rendait fou. Je voyais qu'il prenait son mal en patience et me promis de l'en récompenser un jour, peut-être en lui trouvant un bon repas ou un vêtement pour le couvrir la nuit...

Tout ça pour dire : je n'avais pas prévu les aléas qui pouvaient arriver avec un tel voyage. Une tempête, par exemple. Au début, je me réjouis de ne pas me sentir malade, je connaissais bien l'expression du "mal de mer" sans jamais avoir eu à le vivre. Quand je sentis le monde tanguer, se retourner presque sur lui-même, je commençai à regretter de ne pas avoir réfléchi davantage. Est-ce que j'allais mourir ici, de cette façon ? C'était bien bête, j'avais déjà eu de la chance de survivre à l'enfance.
Le capitaine du navire fut raisonnable, cependant, puisqu'il fit tout son possible, avec son équipage, pour amarrer avant que le cyclone ne devienne plus fou. Il fallut donc jeter l'ancre avant d'atteindre la destination. Cela voulait, malheureusement pour moi, aussi dire que la marchandise serait débardée pour ne pas la perdre si le bâtiment devait couler. Autant dire que je ne m'attardai pas lorsque, ébahis, des marins me trouvèrent à la place des hideuses fourrures de Feunard que j'avais jetées à l'eau au port. Sous leurs cris dans une langue que je ne connaissais pas - ou, dans leur colère, je n'avais même pas reconnu la mienne, je filai sans demander mon reste. Malgré ma taille, j'ai pour qualité de courir bien vite. Ils ne cherchèrent pas à me suivre longtemps quand j'entrai dans une forêt bien lugubre. Cela aurait peut-être dû me mettre en garde...

La nuit commençait à tomber, ce n'était pas forcément le moment idéal pour filer se planquer dans une jungle. D'autant plus que les feuilles étaient si épaisses que presque aucune lumière ne passait... Je manquai de marcher dans une énorme crevasse remplie de boue qui aurait pu m'embourber entièrement, si ce Joey n'avait pas été là pour hurler et me tirer les cheveux avant que ça n'arrive. Je jalousais ses yeux, capables de voir dans l'obscurité presque parfaite.
J'avais une parfaite confiance en lui, refusant d'aller là où il me refusait le passage, c'est pour ça que je m'inquiétai lorsqu'il s'arrêta net au milieu de ce qui me paraissait "rien". Un rayon de soleil crépusculaire me permit pendant un instant de discerner ceux dont je ne voyais que l'ombre : cinq Pokémon, aucun d'eux ne me semblait familier, même si trois me rappelaient des Moumouton sans laine et les deux derniers avaient un air de famille avec Voltoutou, la ressemblance s'arrêtant là. En revanche, leurs grognements étaient quasiment les mêmes.
En effet, ils ne semblaient pas apprécier ma présence dans leur forêt. Il était rare que de telles créatures s'allient, un des groupes ayant l'air de proies par rapport à l'autre, c'était sûrement la venue d'un humain qui les perturbait tant. Je tentai de reculer, n'était pas prête à défier autant de monstre avec seul mon Ouistempo, mieux valait ne pas prendre un tel risque. En revanche, le macaque ne t'entendait pas de cette oreille : lui s'avança.

Le quintet se méfia, grognant de plus belle tandis que mon compagnon s'approchait d'eux, marchant au sol, chose extrêmement rare pour un membre de son espèce. Là, à quelques pas d'eux, il se mit à tambouriner le sol de son bâton, produisant un son étrangement mélodieux pour du bois tapant dans de l'herbe. Alors que l'une des créatures, peu convaincues par cet interlude musical, s'apprêta à attaquer, une gerbe de fleur jaillit au sol, d'abord uniquement aux pieds de Joey, jusqu'à envahir toute la zone, grimpant aux arbres et les colorant malgré l'obscurité. Je me surpris même à en sourire, alors que j'aurais dû être sur le qui-vive, menacée par des bêtes sauvages.
Finalement, ça n'avait pas été un grand risque, puisqu'elles aussi avaient observé le spectacle avec admiration, même la plus agressive qui avait été à un doigt de croquer le singe. Les tensions finirent même par s'apaiser, les Pokémon comprenant sûrement que nous ne venions pas en ennemis détruire leur forêt. Je pus m'avancer à petit pas sans être chassée, à mon grand soulagement.

Cela ne m'avançait pas non plus énormément : j'étais toujours perdue dans une drôle de jungle, sans savoir où se trouvait la civilisation la plus proche. Sans Joey, j'aurais vite perdu la vie de façon stupide mais lui ne savait pas non plus où il se trouvait. Une idée me vint alors, peut-être saugrenue, mais quand on est désespéré.

Hey, Jo', tu pourrais demander à ces Pokémon comment sortir de la forêt, par hasard ?

On disait le langage des Pokémon universel, s'il arrivait à se faire comprendre et qu'eux étaient de bonne volonté, ça pouvait marcher ! En quelques "ookie, ookie", il sembla que le message était passé : ils commencèrent à marcher, je suivis timidement, espérant sincèrement que par une erreur de traduction, ils ne m'aient pas menée à une mort certaine.

Nos pas semblaient ne mener à rien d'autre que plus de forêt. Je les imitais, mettant les pieds où eux avaient mis les pattes, et jusque là, aucun accident. Soit ce labyrinthe était énorme, soit nous tournions en rond et j'avais surestimé l'intellect des bestiaux. Je me tus néanmoins en apercevant ce qui ressemblait à de la lumière d'origine humaine. Sauvée ? Peut-être ! Les monstres ne s'étaient pas arrêtés, mais peut-être n'avais-je pas à leur faire confiance ?
Je déviai ma trajectoire pour aller rassasier ma curiosité, portant son mon épaule un primate peu rassuré de me voir changer d'avis ainsi. Je dus écarter un paquet de branche avant d'enfin apercevoir une clairière avec, en son centre, un feu de camp. Je me réjouissais d'avance, avant de jeter un œil aux créateurs de ce feu : il aurait été bien bête de tomber sur mon équipage.
Point commun : ils avaient un bateau aussi. Il n'avait néanmoins rien à voir avec celui dans lequel j'avais voyagé, il devait même venir d'une autre contrée. C'était déjà ça de gagné. Mon regard balaya le reste des lieux. J'aperçus enfin les hommes à l'origine du campement. Ils semblaient nombreux, mais la plupart s'affairaient près du navire, donc loin de moi. D'autres, en revanche, était bien près, trop près à mon goût. C'est que leurs têtes n'inspiraient pas la confiance, voyez-vous... Ils étaient tout grands (à mes yeux, le monde parait géant, il est vrai), fichus comme des Machopeur, certains couverts de cicatrices que je voyais malgré leurs vêtements. Une bonne partie tenait à sa ceinture une ou plusieurs armes. Ou je ne m'y connaissais pas, ou c'étaient des pirates et autres malfrats auxquels je ne souhaitais pas m'affilier. Finalement, suivre des animaux sauvages dans la jungle me semblait une meilleure idée. Je voulus faire demi-tour, mais fut prise de court en voyant mes guides débouler sans prévenir dans la clairière, pour faire face à l'équipage. Qu'espéraient-ils faire, contre une vingtaine d'hommes armés ? Ils allaient finir en ragoût, voilà tout !
Je me jetai vers eux en espérant les rattraper avant qu'ils ne soient vus : trop tard. j'avais juste réussi à ruiner ma couverture. Les bandits avaient tous les yeux braqués sur la petite bande dont je faisais à présent, malgré moi, partie. Tentant le tout pour le tout, je me mis devant eux, espérant naïvement faire barrage. J'avais encore besoin d'eux pour trouver mon chemin, je ne pouvais pas les laisser se faire massacrer ! Peut-être que la carte du gentil petit garçon perdu en forêt avec ses Pokémon les convaincrait assez pour nous laisser repartir ? Je n'arrivais même pas à me convaincre avec de telles idioties. Au final, j'étais encore plus en danger que si j'avais laissé mes marins préférés me passer à tabac pour clandestinité.

Le vent battait son plein, mais Darius était à l’abri grâce à la rapidité, et à l’efficacité de ses hommes. Une tente avait été montée en une poignée de minutes à peine, et c’était ici, éclairé par une bougie, que le capitaine observa sa carte, l’air soucieux. Etait-ce encore une bonne idée de s’enfoncer si loin dans la fôret ? Il ne savait même pas quand la tempête allait se terminer, et quelque chose au fond de lui lui disait qu’il valait mieux être pessimiste pour le coup. Dans quelle affaire encore il s’était fourré ?

- Tout va bien ? Demanda Patrocle, les bras croisés sur son immense poitrail.
- Je ne sais pas, répondit le capitaine. J’ai bien peur que la nature ne soit contre nous cette fois ci…

Mais alors que le grand noir allait lui répondre quelque chose de réconfortant - comme à son habitude -, un homme surgit dans la tente, l’air affolé.

- Monseigneur ! Cria-t-il. Des monstres ! Et un enfant !

Le brun fronça les sourcils, et sorti de son cocon douillet pour affronter la tempête.

A l’extérieur, les hommes brandissaient leurs armes ; épées, arcs, dagues, massues. Face à eux, plusieurs monstres grognaient, tapait sur le sol, montraient des signes évidents d’hostilité. Dans cette situation, normalement, Darius aurait donné l’ordre d’abattre les bêtes, mais là, c’était différent. Devant eux, un petit garçon s’exposait héroïquement à ses matelots, comme si à lui seul, il allait pouvoir protéger les monstres derrière lui.

- Qu’est-ce qu’on fait capitaine, demanda Le Borne, on les tues ?

Darius remua la tête, et sans dire un mot, il s’avança devant l’enfant.
Il surplombait de loin la plupart des hommes présent dans la tempête. Ses cheveux et son long manteau en peau d’ursaring volaient avec le vent, dévoilant le vêtement épais qui lui collait à la peau à cause de la pluie. Son regard glacé vint se poser sur les différents êtres en face de lui : du gibier, des chiens à l’allure redoutable, un jeune homme portant sur son épaule un singe.
Si certains pouvaient être utiles à l’équipage, d’autres en revanche, n’allaient peut être pas faire long feu.

- Eh bien mon garçon, tu t’es perdu ? Demanda le brun avec un calme étrange. Cette forêt peut être remplie de brigands… Qui sait.

Le capitaine fit un léger signe de tête à ses hommes. Ces derniers, comme de fidèles toutous, obéirent à l’ordre silencieux de leur maître. Ils avançaient lentement, armes brandies, en prenant le soin d’encercler l’égaré et ses monstres. Les cabirolaines se sentirent acculées, alors que les rocabots quant à eux, redoublèrent leurs grognements.

Darius fit quelques pas de plus vers le jeune homme, et s’accroupit devant lui.

- Je vais te proposer quelque chose qu’il serait intelligent de ne pas refuser, commença-t-il. Dans ma grande générosité, je t’offre le gîte et le couvert pour ce soir, et demain, tu partiras en ayant oublié tout ce que tu as vu.

Les pirates se mirent à rigoler, ravis de ce soudain spectacle improvisé.

- Si ma proposition ne te plais guère…

Le Borne s’avança, poignard en main, fier de pouvoir terminer la phrase de son capitaine.

- … Tu seras obligé d’accepter la mienne hé hé !

Le capitaine arqua un sourcil. Il était certain que dans la tête de l’handicapé, une sentence terrible attendait le jeune garçon, et tous les êtres qui l’accompagnait...