Litanies jetées aux flammes | Yokai

Face contre terre, les mains tendues vers le feu et les paumes tournées vers le ciel, Hécate priait. Elle avait recouvert son front de cendre jusqu'à ses yeux et observait un silence sacré. Derrière elle, les monstres qui l'accompagnaient avaient jugé bon de ne pas intervenir ou même de se rapprocher. Ce n'était pas la première fois qu'elle se comportait ainsi et la lueur sombre qui ternissait son regard lors de ces moments ne leur disait rien qui vaille.
La plupart de leurs comportements étaient calqués sur ceux de Charlotte. Elle avait plus d'expérience avec Hécate, elle savait mieux comment la gérer et elle se tenait effectivement à l'écart de sa maîtresse lorsque celle-ci décidait de jouer avec des forces païennes. C'était plus parce qu'elle ne comprenait pas que par réelle crainte d'une réaction violente de la vagabonde : Hécate parlait seule lors de ses mains, elle entonnait d'étranges psalmodies dans une langue probablement inventée et allait jusqu'à tailler des os qu'elle avait récupéré. La Chaglam ne voyait que peu d'intérêt à participer à tout cela.

Cette fois-ci, Hécate ne s'était pas dénudée pour danser à la gloire d'un sombre esprit que le sien avait pu inventer. Il faisait trop froid et même elle n'était pas aveuglée au point de penser que ce serait une bonne idée. A la place, elle avait joué d'humilité et priait une aide miraculeuse dans sa quête titanesque.
A ses côtés, assis un peu plus loin, Thymos observait le feu d'un air presque absent. Il entonnait d'une petite voix une comptine scémédoise qui titillait et agaçait au plus haut point les oreilles de la vagabonde. Elle ne pouvait se concentrer et lorsque sa patience fut à bout, elle se redressa vivement.

« Cesse donc ce raffut ! » Orion redressa la tête, les sens en alerte, mais il ne vit rien. « Ne vois tu donc pas que j'essaie de prier ! »

Tu pries les dieux maintenant ?

Il y avait dans sa voix un amusement et une moquerie non dissimulée. Hécate pinça les lèvres, une moue vexée sur le visage alors qu'elle se retournait vers le feu pour en observer les flammes. « Je prierai qui il faudra. » siffla-t-elle d'une voix sombre. « Arceus ou le Faiseur de Paix s'ils daignent enfin agir... Ou d'autres, peu importe. » Elle soupira, presque abattue par une soudaine fatigue avant de secouer la tête. Malgré l'heure tardive, ce n'était pas encore le moment de dormir, le geste l'aida à se réveiller mais ce qui acheva de lui rendre son énergie fut le rire de Thymos. Le maudit moqueur ne la prenait pas au sérieux.

Effectivement, perdue et faible comme tu es, tu auras besoin de toute l'aide possible !

Et il repartit dans un fou rire incontrôlable, arguant dans un écho presque surnaturel qu'elle était stupide de penser que quiconque répondrait à ses pitoyables plaintes.
Furieuse, elle attrapa une pierre qui reposait au sol et la propulsa vers le démon qui la hantait « La peste soit de toi ! ». Mais il était déjà parti, envolé dans la nature. Les échos de sa voix résonnèrent encore un bref instant dans son esprit avant que tout ne redevienne silence. Elle ignora fermement les regards perplexes de son équipe avant d'inspirer longuement pour se calmer.
Toujours à genoux, la tête baissée, elle ne priait plus mais tentait vainement de s'apaiser en se concentrant sur le bruit du crépitement des flammes. Et puis doucement, elle ouvrit ses yeux cernés du noir des cendres et les posa sur le foyer qui perdait peu à peu en intensité. S'il ne s'éteignait pas de lui même, elle devrait le faire elle même avant de dormir pour propager un incendie, mais son esprit ne s'attarda pas sur ce fait là. Derrière les flammes, il y avait des jambes humaines. Et si elle avait pâlit de discerner une présence humaine qu'elle n'avait pas remarqué avant, un rouage de son esprit malade lui souffla que, peut être, Thymos avait tord et qu'un esprit avait répondu à ses appels.

Elle mit un temps à complètement appréhender la situation, mais lorsqu'elle releva les yeux vers la silhouette qui s'était présentée et qu'elle entendit sa voix, un frisson lui parcourut l'échine. Elle ne l'avait pas entendu, pas remarqué. Il était apparu de nulle part, s'était glissé dans son champ de vision comme un spectre, comme la mort. Son heure était-elle arrivée ? Non. Une lueur sauvage brilla dans son regard alors que par réflexe, elle porta la main à sa ceinture, sur le manche de son poignard. Sa lance était trop loin, pas besoin de regarder sur le côté pour le savoir – d'autant que lâcher l'intrus du regard serait risqué –.
Pourtant il semblait calme. Drapé dans une tenue typique de Kii, il détonnait dans les paysages de Nimus autant qu'il y paraissait étrangement à sa place. Déposant sa lanterne à ses pieds, il n'esquissa aucun geste hostile alors qu'Hécate ne le lâchait pas du regard. Plissant les yeux, elle cherchait à comprendre : qui était-il ? Que faisait-il ici ? Les voyageurs étaient rares à Nimus, elle même n'avait croisé qu'Emi et quelques cadavres qu'elle avait dépouillé sans grand remord. Mais celui là ?

Alors elle garda un silence prudent pour l'écouter. Il lui proposait son aide, puis l'enjoignait à continuer ce qu'elle faisait. Hors de question. Retourner la tête dans les cendres alors qu'un inconnu venait de s'approcher signait son arrêt de mort.
Elle le détailla encore un instant, attardant son regard fauve sur les peintures qui ornaient son visage. Avaient-elles une symbolique particulière comme la cendre qu'elle avait étalé sur la moitié de son visage ? Impossible à dire. Ses doigts effleurèrent encore un peu le manche de son arme avant qu'elle ne se redresse souplement pour mieux faire face au nouveau.
Il avait le sourire tranquille, calme, presque engageant. Un nouveau frisson la parcourut : calme, il l'était de trop dans un tel endroit. Etait-il seulement humain ? Ses lèvres se crispèrent par réflexe alors que son visage se contractait. Pour autant, aucune agression ne lui échappa, et si sa main restait prête à dégainer, elle fit un effort pour rester tranquille.
Inspirant longuement, elle toisa l'inconnu avant d'enfin entrouvrir ses sombres lèvres.

« J'ai effectivement besoin d'aide, mais je doute que vous puissiez me l'apporter.. » siffla-t-elle entre ses dents. Son regard était intense, elle ne le lâchait pas des yeux, à la recherche d'un quelconque geste qui la mettrait en alarme. Mais rien ne vint, alors elle s'attela à assouvir sa curiosité « Mon nom est Hécate... Qui êtes-vous ? »

Son ton était inquisiteur autant que sa voix était rauque, de celles dont on a plus l'habitude de faire usage. La vie à Nimus était solitaire et elle n'avait nullement besoin de mots pour communiquer avec sa troupe, parler à un semblable – un semblable, vraiment ? – n'était plus une habitude. Pourtant, quelques bribes de son éducation et des coutumes de ses pairs lui revenaient en mémoire.

Et pendant ce temps, les bêtes qui l'accompagnaient lorgnaient furtivement sur l'étranger. Pour une fois qu'Hécate ne parlait pas seule...

Un plaisir, dit-il, Hécate en doute mais ne le remet pas en question de vive voix, à quoi bon ? Il s'incline légèrement pour la saluer, étonnamment poli, étrangement courtois, la scène semble irréelle entre les bois tortueux de Nimus.
La jeune femme esquisse un rictus à mi chemin entre l'amusement et le scepticisme. Cet homme l'inquiète et la fascine. Aucune âme saine d'esprit ne viendrait se perdre en ces terres maudites, s'il n'est pas comme elle, il n'est pas si différent, elle en mettrait sa main à couper. Retroussant les narines, ses yeux se plissent lorsqu'il se présente toujours sur ce même ton doux. Il est serein, presque nonchalant et cette tranquillité met mal à l'aise la jeune femme. Elle se raidit, esquisse quelques pas de côté pour mieux le voir.

Il dit qu'à Kii, on l'appelle l'Apothicaire. Ce n'est pas un vrai nom, Hécate plisse des lèvres mais ne dit rien. Son nom n'est pas non plus véritablement le sien, ce n'est pas elle qui jugerait un pseudonyme, pouvoir le nommer est suffisant à ses yeux.
Ceci dit, maintenant qu'elle peut l'observer sans l'obstacle des flammes entre eux, elle n'est vraiment plus certaine de faire face à un humain. Il est grand, l'Apothicaire. Vêtu de parures kii-oises, le visage peint de symboles carmins, il n'a pourtant pas l'air originaire des montagnes. Sa chevelure blonde en ferait un métisse, mais ce n'est déjà plus ce qui crie l'esprit d'Hécate : ses oreilles n'ont rien d'humain.
Plus longues, plus pointues, elles semblent témoigner d'une origine différente, d'un sang différent et dans l'esprit malade de la vagabonde se fraye une idée qui ne laisse plus vraiment de place à plus de réflexion.

Alors qu'elle réalise, son expression perd peu à peu de sa dureté. Elle ne se permet pas d'afficher de la crainte, mais une certaine surprise se lit dans son regard d'ambre alors qu'il lui propose à nouveau son aide. Les lieux lui sont familiers, déclare-t-il, et Hécate le croit sur parole. En revanche, elle n'est pas certaine de vouloir le suivre dans le labyrinthe qu'est Nimus. Compte-t-il la perdre entre les racines pour la dévorer plus tard ? Ou peut être-...

Son train de penser s'arrête un instant et la méfiance vient à nouveau teindre son visage.
Elle priait, quelques minutes plus tôt, se pourrait-il qu'il l'ait entendu ? Qu'elle l'ait appelé ? Perplexe, elle le jauge, laisse s'étendre le silence sans embarras. Est-il un esprit maudit de Nimus ? Elle l'ignore, mais la possibilité la fascine.
Alors elle fait un nouveau pas de côté, puis un pas en avant. Elle ne s'avance pas de trop, hésite clairement à l'approcher. La distance gardée entre eux est plus que raisonnable mais ces quelques pas lui permettent une meilleure vision qui la rassure un tant soit peu. Elle se penche un peu, à droitE, puis à gauche, l'inspecte de loin, à la recherche d'armes ou de quoique ce soit qui pourrait lui porter préjudice.
S'il en a, elle ne les remarques pas. Alors, elle en est désormais convaincu : aucun humain ne s'aventurerait seul et désarmé à Nimus. Il n'a pas de monstres pour se protéger, rien pour se défendre mais semble ici chez lui. Elle en est convaincue, c'est un esprit, peut être un démon. Et s'il est là, c'est qu'il a répondu à sa prière.

Alors son expression change, perd à nouveau de sa dureté. Elle semble presque soulagée, son regard laisse transparaître une sorte de gratitude. Il ne ressemble en rien à Thymos, mais elle semble pourtant le reconnaître. Quel sentiment curieux..

Un Esprit t'a entendu et te propose son aide, tu devrais le suivre, Hécate.

La voix de Thymos résonne derrière elle. Un instant, elle se déconcentre, lance un regard confus par dessus son épaule avant de reposer les yeux sur l'Apothicaire. Thymos vient de le lui confirmer. Elle pince alors les lèvres, perplexe, puis finit par répondre.

« Cela veut-il donc dire... Que l'heure est venue de quitter Nimus ? » sa voix peine à trouver sa force. Les premiers mots sont étouffés, les autres sont à nouveau enroués, mais à part les crépitements du feu, rien ne semble capable de rendre ses paroles inintelligibles.