Réorganisation [Mission Event]

Il y avait bien peu de choses que Virgile pouvait affirmer aimer avec conviction. Le calme, assurément, la sécurité, cela va sans-dire, et par dessus tout : sa bien aimée bibliothèque.
Bien sûr, ce n'était pas la sienne à proprement parler mais il y passait tellement de temps qu'il faisait désormais parti des meubles. Plus personne ne s'étonnait vraiment de le voir encore debout à des heures tardives de la journée, à gratter ses copies ou quelque histoire mystérieuse qu'il se refusait à partager.

A n'en point douter, Virgile vouait un amour particulièrement sincère vis-à-vis de la Bibliothèque d'Aros et des livres qui la peuplaient. Ce ne fut donc pas une surprise pour Ismey de le voir arriver pour aider à la ré-organisation des ouvrages.
Il était arrivé très (trop) tôt pour se mettre au travail, le sourire aux lèvres – c'était déjà plus surprenant que de savoir qu'il s'était porté volontaire – et avait demandé à sa consoeur encore un peu endormie le plan d'organisation des livres. Il fallait les classer par date, auteur et thématiques. Classique somme toute. Une tâche laborieuse pour certains, peu engageante et qui manquait clairement de dynamique.

Sauf pour le scribe.

Il n'avait besoin d'engager la conversation avec personne d'autre et l'énorme pile de livres qui se dressait face à lui lui promettait des heures d'occupation ! Et peut être même pourrait-il trouver dans le tas quelques recueils à emprunter une fois qu'il aurait fini. Il connaissait certes de nombreux ouvrages de la Bibliothèque, mais il n'y avait pas d'une seule vie pour tous les connaître et les avoir lu, surtout lorsqu'il devait en passer une partie à en recopier certains.

Ainsi s'était-il mis au travail. La mine réjouie, les gestes décidés. Rarement avait-il été aussi heureux – une pensée qui traversa l'esprit de Sire-Lumière autant qu'elle l'inquiéta –, et pour un peu ne se serait-il pas mis à fredonner.

Mais il n'aurait pas osé : Ismey n'était pas loin et pour ce qu'il en savait, il n'était peut être pas le seul volontaire et ils seraient rejoints dans la journée par d'autres scribes, copistes ou érudits du Phare.

Événement !

Le calme ne dura pas, tout comme la bonne humeur du scribe. La venue de nouveaux volontaires bouscula le confortable calme auquel il s'était habitué. Virgile savait qu'il devait être fier de ses collègues, de leur motivation et de leur entrain, mais l'agitation provoquée par leur arrivé lui retourna l'estomac.
En sueur malgré la fraîcheur de l'endroit, Virgile s'était fait petit dans un coin de la salle. Il avait apporté avec lui une pile de livres qu'il s'était mis en tête de classer sans aide mais force était de constater que la plupart n'allait pas là. Une déception pour tous, mais surtout pour lui.

Autour de lui, un ronronnement de voix s'élevait ci et là, pas assez fort pour déclencher une migraine, mais assez pour lui donner l'impression d'être entouré d'inconnus aux intentions hostiles. C'était stupide, il le savait, mais sa gorge nouée et son gosier sec refusaient d'entendre raison.
Puis, il y avait la poussière soulevée par la cohue et le déplacement de livres.

Virgile ne se considérait pas comme fragile. Dans une bibliothèque aussi grande que la leur, la poussière et les toiles de Mimigals étaient probablement courantes. Pas qu'il appréciait cet état de fait, mais il s'y était habitué et tâchant tant bien que mal de garder son espace de travail aussi propre que possible.
En revanche, ce n'était pas du goût de tout le monde.

Virgile ne vit pas qui causa l'accident. Virgile ne vit même pas ce qui déclencha le chaos. Ce furent les piles de livres qu'il avait vaguement classées par groupe pour les distribuer aux étagères adéquates chutant dans un bruit sourd qui le firent sursauter. Suivi d'exclamations de surprise et de panique.
Lui même couina sous le choc alors que Sire-Lumière somnolant non loin s'était réveillé d'un bond et réfugié dans son dos.

Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre d'où venait le problème. S'il n'avait pas vision directe sur la fenêtre ouverte, le froid glacial qui s'était engouffré dans la salle ne laissait planer aucun doute sur ce qu'il s'était passé : quelqu'un – un génie, probablement – avait décidé d'ouvrir les carreaux pour-... Pour une raison légitime, probablement.

Virgile n'en trouva aucune ceci dit, parce qu'il était évident pour lui qu'avec le climat d'Aros, ouvrir la fenêtre en plein hiver était une mauvaise idée, qu'il pouvait neiger à tout instant et que les vents de la mer étaient imprévisibles. Il ne fallait ouvrir que lorsque tout était sous contrôle. Or, ici, rien ne l'était.
Avec horreur, il observa les livres jonchant le sol comme les cadavres d'une bataille dévastatrice, et les feuillets trop légers qui virevoltaient dans la salle. Certains s'étaient lancés à leur poursuite, mais la plupart trébuchaient et glissaient sur les ouvrages au sol.

Son cœur se brisa.

Tant de savoir... Piétiné dans la panique. Ils étaient les Gardiens de la Connaissance, réduits à leur condition de simples bêtes face à la panique... Quelle indignité.

Et puis, les bougies ? Si certaines s'éteignaient face aux bourrasques venues de l'extérieur, d'autres tenaient bon mais menaçaient de tomber à tout moment. Un instant, un bref instant, Virgile eut l'intrusive vision du Phare en flammes. Ce fut assez pour lui donner envie de hurler.

Assez pour le faire réagir.

Enjoignant Sire-Lumière de rester à l'abri autant que faire se pouvait, il releva le col de sa veste et quitta sa place derrière une étagère. Laisser ses précieux livres derrière lui sans les ramasser lui fendit le cœur, mais c'était pour la bonne cause : un sacrifice auquel il fallait consentir.

Ainsi, ignorant les autres volontaires beuglant quelques ordres et conseils sur la marche à suivre, Virgile se fraya un chemin parmi les carcasses d'ouvrages à terre et atteignit la coupable fenêtre en quelques minutes.
Le vent lui fouettait affreusement le visage, l'obligeant à plisser les yeux et réduisant ainsi sa vision. Arriverait-il à fermer les vitres ? La Nature semblait déchaînée, bien peu encline à les laisser s'en sortir à si bon compte. Pourtant, il devait faire quelque chose !
Ainsi, avec tout l'héroïsme qu'il lui était donné d'avoir, il tenta sa chance, fermant un battant, tentant de le maintenir pour rabattre l'autre.

Il batailla bien... De longues secondes !

Les battants lui échappèrent des mains à quelques reprises, manquant même de l’assommer au passage quand soudain l'impensable se produisit !
Il n'était plus seul ! Ismey l'avait rejoint, et derrière lui, une troisième paire de mains vint les aider. A eux trois, ils purent sceller la fenêtre, et la tempête s'apaisa aussi vite qu'elle était apparue.

Le scribe soupira de soulagement, remerciant Ismey d'une voix tremblante avant de se retourner vers leur acolyte pour en faire de même.

Il blêmit.

A ses côtés se tenait Connor, avec ses jolies boucles brunes et son sourire avenant. Connor qu'il avait songé à courtiser une – la seule – nuit où il avait trop bu. Connor qui, sur un malentendu, avait bien manqué de devenir son beau-frère.
La bienveillance de l'expression de l'autre scribe se teinta subtilement d'inquiétude alors que Virgile s'efforçait de se souvenir comment respirer.

Panique.
Coeur frénétique.
Connor lui parle, lui demande si tout va bien.

Il s'entend lui répondre d'une voix faussement enjouée que 'Oui, haha, j'ai du travail, désolé' et ses pieds s'animent sans qu'il ne s'en rende compte.

Lorsqu'il retrouva Sire-Lumière derrière l'étagère d'où il venait – la brave bête avait fait de son mieux pour rempiler les ouvrages – Virgile ne sentait plus ses mains. Un froid mordant l'avait engourdi, un froid qu'il ne pouvait attribuer aux bourrasques qui avait secoué la pièce quelques instants plus tôt.
Il tremblait de tout son être. Combien d'années avait-il réussi à éviter Connor ? Combien de fois ne l'avait-il croisé que dans les couloirs, prétextant ne pas l'avoir vu ?

Il ne savait plus trop. Ne voulait pas savoir.

Une myriades d'émotions et de sentiments plus déplaisants les uns que les autres l'assaillirent de toute part mais ce n'était pas la première fois. La culpabilité, l'angoisse et la panique-... Dans le Phare, il savait les étouffer.
Focalisant toute son attention sur les livres qui l'entouraient, Virgile prit une grande inspiration sous le regard inquiet du Muciole.

Il y avait encore beaucoup de travail à accomplir, assez pour le distraire de sa détresse, assez pour qu'il oublie qu'il L'avait croisé. Alors il se remis au travail en silence, réduisant à néant toutes autres pensées qui n'avait rien à voir avec son labeur actuel. Seul la classification comptait. Dans un tel état, il ne vit pas le temps passer. Il ne vit pas les autres volontaires aller et venir, la salle se vidant à mesure que l'aube approchait.
Ce ne fut que lorsque Ismey s'approcha de lui pour l'avertir qu'il était tard et qu'il était temps de partir que Virgile réalisa.

« Je-... Hm... Je reviendrais-... Demain. » souffla-t-il d'une voix blanche à sa consoeur alors qu'elle le guidait vers la sortie.

Et ce fut ce qu'il fit, revenant le lendemain, et le jour d'après pour finir l'organisation de la Bibliothèque. Il fallait bien ça pour maintenir son esprit occupé.

Mission accomplie !