Ménager ses morts [Mission Event]

Salem est perplexe, et personne ne daigne l'aider. Dans ses mains il tient une petite affichette gribouillée de mots qu'il ne peut pas lire, mais le dessin au pied de la feuille a attiré toute son attention. Le portrait a beau être sommairement dessiné, il y a quelque chose dans ces coups de crayon qui résonne chez l'artiste en lui.
L'inconnu dessiné en bas de page fait un cœur avec ses mains et semble lui faire un clin d'oeil. Salem ne sait pas ce qu'il a écrit au dessus, mais il sait qu'il doit le retrouver. Malheureusement, analphabète comme il l'est, impossible de trouver le nom de l'artiste inconnu, ou son adresse.

Alors Salem se met en quête d'une personne lettrée capable de le renseigner et ne se heurte qu'à des murs. Peut être est-ce sa couleur de peau, ou son accent qui rebutent les Scémédais, mais les refus de ne serait-ce même que s'arrêter pour lui répondre le frustrent énormément.
Le bougre piétine et ce n'est pas Alma qui roupille dans sa besace qui pourra l'aider.

Il lui faut bien quelques heures pour trouver quelqu'un de disposé à lui lire son papier, et c'est en la personne d'un homme éploré qu'il trouve son salut. Ce dernier l'a abordé les larmes aux yeux, lui a raconté sa tragique histoire d'amour et a tenté de lui glisser une lettre à livrer entre les mains.

« Ah mais-... J'en ai déjà une, vous voyez-bien ? » siffle Salem en présentant l'objet de sa propre quête à Ignace. Ce dernier renifle plisse les yeux un instant, piqué par une curiosité qui l'éloigne un instant de sa douleur. « C'est-... C'est écrit par Igor le fossoyeur ? » finit-il par déclarer après avoir pris le temps de déchiffrer – non sans peine - les lignes du message. Il a l'air incrédule, mais ce sont toutes les informations dont Salem avait besoin. « Le fossoyeur ? D'un cimetière donc... Merci beaucoup ! »

Et Salem s'élance, gambade même, loin d'Ignace et de son cœur brisé. S'il s'en souvient, il reviendra l'aider mais son esprit est trop concentré sur la curiosité de rencontrer cet Igor. Le cimetière, il l'a vu aux abords de la ville et il ne lui faut pas longtemps pour rejoindre l'endroit moribond.
Peut être s'imagine-t-il des choses, mais lorsqu'il pénètre l'enceinte du cimetière, il a l'impression que le froid se fait plus mordant, que le ciel se fait plus gris. Pour autant, Salem ne renonce pas, aperçoit entre les rares visiteurs du cimetière un petit homme chauve qui correspond au dessin sur l'affichette.

Le voyageur les compare encore quelques fois avant de s'avancer vers lui de vive allure. « Bonjour. » l'aborde-t-il à voix basse pour ne pas déranger les autres visiteurs en deuil. Le présumé Igor se retourne vers lui et pose sur sa personne un regard fatigué. « C'est vous qui-... ? » Salem lui montre alors l'affichette sans savoir vraiment ce qu'elle contient.
Il n'en faut pas plus au fossoyeur pour alors afficher un sourire radieux – et édenté – et lui mâcher quelques mots dans un patois que Salem se retrouve bien incapable de comprendre.

Peut être a-t-il fait une erreur.

« Rayos... » marmonne-t-il entre ces dents. Les minutes qui suivent sont bien laborieuses entre les deux hommes pour tenter de se faire comprendre. A son grand désarroi, Igor tente même de lui écrire quelques mots en plus sur le papier ! Pourtant, lorsque la conversation arrive à son terme, Salem a compris : plus tout jeune, le fossoyeur peine à maintenir les tombes propres et il aurait besoin d'aide.

« Je vais vous aider pour aujourd'hui, souffle un Salem dépité, mais vous devriez vous chercher un vrai assistant... »

Événement !

A chaque mot que prononce Igor, Salem grimace et plisse les yeux, comme si cela pouvait l'aider à mieux comprendre. C'est-... Laborieux, mais plus ils 'échangent' (échanger étant un bien grand mot), plus il lui semble saisir le sens général de ce que souhait Igor.

Enfin presque.

Quand celui-ci finit par lui glisser une pelle dans les mains, Salem ne peut s'empêcher d'arquer un sourcil « Negación ? » murmure-t-il, incrédule avant de comprendre avec un geste du fossoyeur.

Oh.. La neige.

La tâche est ingrate et Salem hésite à prendre congé, mais un regard sur le dos courbé d'Igor qui frotte les pierres tombales pour les nettoyer achève de le convaincre de rester. Ca ne l'amuse pas de déblayer la neige, mais ça l'amuse encore moins de laisser un vieil homme seul contre une tâche aussi physique.
Alors il se met à l'oeuvre sans rouspéter. Malgré le froid ambiant, l'effort le maintient au chaud tant qu'il reste en mouvement, le forçant même à retirer une couche de vêtements. De temps en temps, il lance un regard inquiet vers le vieux Igor, mais ce dernier travaille vite et bien malgré sa position précaire.

Après quelques heures de travail acharné, le soleil finit par se coucher et Salem constate avec dépit que malgré ses efforts, le cimetière et les tombes sont loin d'avoir été entièrement libérés de la neige. Un soupire lui échappe, formant un petit nuage de vapeur et Igor – le faisant sursauter – pose une main compatissante sur son épaule.
Le travail est sans fin, et il est généralement seul pour le réaliser. Ceci dit, reconnaissant d'avoir eu de l'aide et de la compagnie pour la journée, le fossoyeur invite Salem. Son patois est lourd, difficile à comprendre et il faut s'y reprendre à plusieurs reprises pour que l'étranger y comprenne quelque chose, mais lorsqu'il entend qu'il s'agit là d'une invitation à manger, il n'hésite pas une seconde à accepter : c'est là l'occasion rêver de parler du dessin !

Enfin-... Presque, s'il n'y avait pas cette barrière de la langue.

Le repas est pourtant agréable, même s'il faut s'y reprendre à 4 ou 5 fois avant d'avancer dans la discussion. Igor explique qu'il a toujours aimé le dessin et les arts en général, mais qu'il a repris l'entretien du cimetière après la mort de son père, qui avait lui même hérité de la tâche après la mort de son propre père. Logique.
Mais ils ont là un intérêt commun et la soirée s'achève sur un bien étrange duo entonnant quelques chants dissonants.

Leurs voix ne s'accordent pas très bien, mais le cœur y est et c'est bien le plus important. Après une journée à déblayer de la neige, ça fait du bien. Salem se sent requinqué, et lorsque le Fossoyeur lui propose une pauvre paillasse pour la nuit – faute de mieux, son travail n'est pas le mieux payé –, il accepte dans un sourire.

« Je vous aiderai demain aussi, et on essaiera de vous trouver un assistant. »

Il n'a pas le cœur de le laisser seul, avec un peu de chance, il ne sera pas le seul dans ce cas là.

Mission accomplie !