Juste une ombre dans la nuit ~ Aliénor

Ton histoire n’est pas forcément la plus intéressante de toutes, elle est d’ailleurs plutôt banale. Dans ce monde où certains naissent avec tout, tu es née avec rien. Pas même des parents. Enfin, ils étaient peut-être là quelque part, peut-être les croisais tu régulièrement, pas que tu saurais les reconnaître si c’était le cas. Ou peut-être étaient-ils simplement morts, qui sait ? Dans tous les cas, ils n’étaient pas avec toi et tu ne penses pas qu’ils t’aient manqués tant que ça, c’était difficile de manquer de quelque chose qu’on n’avait jamais eu. Tu as donc grandi un peu partout dans Aros, allant de squats en squats en fonction des personnes prêtes à prendre sur leur temps et leurs ressources pour s’encombrer d’un enfant en bas âge. Les choses devinrent plus simples lorsque tu grandis et que tu devins suffisamment grande pour marcher et parler de toi-même, car dès lors, tu devins utile.

On t’apprit alors comment se fondre dans les ombres, comment voler, mentir, ou encore comment espionner. Une bonne information pouvant avoir autant de valeurs que de l’or, voir même plus. Honnêtement, ce n’avait pas été une période horrible de ta vie. La majorité des personnes pour qui tu travaillais étaient relativement décentes, on te laissait manger à ta faim dans la mesure du possible et tu avais même droit à quelques moments libres, rien que pour toi. Mais c’était étouffant, voir tous les jours les mêmes personnes, avoir tous les jours la même routine. Tu n’en pouvais plus, vers l’âge de douze ans, tu pris donc tes maigres possessions et tu t’en fus. Il y avait ce lieu dont tout le monde parlait, un spot parfait. Un lieu abandonné depuis longtemps, mais pas décrépi, bien placé, grand et calme, le rêve quoi. Enfin, si ce n’était le supposé fameux fantôme qui avait fait fuir toutes les personnes ayant tenté de s’y installer au point ou ce lieu était désormais fui. Mais bon, tu avais passé ta vie entassée dans des endroits minuscule avec beaucoup trop de monde pour qu’une collocation avec un spectre te pose le moindre souci.


Tu mis un moment avant d'arriver sur place, c’était quasiment à l’autre bout de la ville, mais ça en valait tellement le coup. Tu pensais que les rumeurs sur l’état quasi neuf du lieu étaient exagérées, mais non ! À part le côté inquiétant et poussiéreux d'un aussi grand espace complètement vide et plongé dans l’obscurité, c’était complément neuf, il y avait même un étage ! Ce fantôme avait intérêt à être bien accroché, parce que rien ne te ferait partir d’ici. C’était chez toi maintenant, enfin, après une bonne séance de nettoyage et l’emprunt à durée indéterminée de meubles. Tu te mis d’ailleurs immédiatement à la tâche, faisant de ton mieux pour dépoussiérer et aérer avec les moyens du bord. La nuit n’allant pas tarder à tomber, tu pourras alors sortir chercher ce qu’il te manquait. Enfin, le plus urgent, vu qu’il y avait actuellement, eh bien, rien du tout. Au moins, tu pourrais décorer comme tu le voudrais. Trouver des instruments de nettoyage basiques, plus des couvertures, avait été un jeu d’enfant lors de ta sortie, tu pus donc rentrer relativement tôt pour continuer le chantier. Cela faisait désormais plusieurs heures que tu t’acharnais à faire briller ce coin, et toujours aucune nouvelle de ce fameux colocataire surprise.

Tu commençais à te dire qu’au final, il n’y avait jamais rien eu à part quelques idiots un peu trop superstitieux lorsque des pleurs se firent entendre, sortis de nulle part. Oups. Il y avait donc quelqu’un. Ou quelque chose. Peu importe, tu ne bougerais pas, tu avais probablement déjà vu pire, ce n’était que des lamentations, il suffisait de les ignorer. Chose que tu fis, mais ça ne s’arrêtait pas pour autant et bientôt les sanglots prirent en ampleur, ressemblant de plus en plus à des cris stridents, te forçant à te protéger les oreilles et, ce ne fut que le début, après d’interminables minutes passées à espérer que la chose se calme sans succès, tu sentis tes cheveux se faire violemment tirer en arrière. Tu poussas un cri de douleur, te débattant du mieux que tu en étais capable de tes faibles forces. Les larmes de douleur obstruant ta vision ne furent pas suffisantes pour t’épargner la vue de ses orbes couleur sang illuminant la pièce d’une lueur funeste. Tu étais absolument terrifiée, figée sur place à la merci d’une entité bien trop forte pour toi. Mais tu refusais de céder, une profonde rage se répandit en toi, tel un feu brûlant nourri par ta peur, tu fis alors la seule chose dont tu étais encore capable : tu hurlas. À ce jour, tu serais bien incapable de dire les mots que tu prononças ce soir-là, ou s'ils avaient le moindre sens, mais cela fonctionna. Le silence se fit, si soudainement que tu fus prise de vertige alors que la pression sur ton crâne disparaissait également. Et juste comme ça, tu vis les halos carmin disparaître dans l’obscurité.


Il te fallut plus de temps que tu ne voulais bien l’admettre pour te remettre de cette expérience, plusieurs jours, voire semaines, mais tu ne te laissas pas abattre pour autant, continuant de vivre et de meubler ton nouveau lieu de vie. Si plus discret, ton colocataire de fortune ne disparut pas par pour autant, il continuait à s’amuser à te faire peur, ou encore à faire disparaître tes affaires, tu ne savais où. Rien d’irremplaçable pour toi qui n’avais jamais rien eu. Et puis, tu préférais encore ça au comité d’accueil auquel tu avais eu droit. Au bout d’un moment, tu décidas même de lui rendre la pareille, t’amusant à faire plus de bruit que nécessaire pour simplement l’incommoder. Tu eus aussi la brillante idée de lui trouver un surnom inoffensif, pour que penser à lui soit moins effrayant. Tu choisis Bob, tu es d’ailleurs toujours très fière de cette trouvaille. Au bout de plusieurs mois, Bob décida qu’aussi pénible ta présence soit, il te tolérait assez pour venir se présenter, les différentes offrandes laissées çà et là ayant joué leurs rôles, à moins qu’il ait simplement accepté son sort : toi. Toujours est-il que tu te réveillas un beau matin pour te retrouver nez à nez avec une adorable petite Feuforêve. Il ne te fallut pas longtemps pour faire le lien et toute peur potentiellement restante s’évanouit instantanément.

Si votre relation devint davantage cordiale, la vraie tournure de votre relation se passa plus tard. Lorsqu’un soir, en rentrant d’un tour en ville ayant pour but de revendre les butins que tu avais accumulés cette semaine, tu retrouvas Bob sur le sol de votre lieu de vie, en piteux état. Cette dernière avait visiblement subi des coups relativement violents, l’idée qu’elle puisse disparaître t’effleura l’esprit un instant, et te terrifia encore davantage que les événements de ta première nuit en ce lieu. Tu voulais qu’elle aille mieux, mais tu savais également que tu étais bien incapable de faire quoi que ce soit pour elle. Tu décidas donc d’amener cette dernière auprès de quelqu’un pouvant la soigner, quitte à y laisser tes maigres économies: sa vie était plus importante à tes yeux. Et même avec les soins lui ayant été prodigués, Bob mis plusieurs longs jours à s’en remettre. La personne qui l’avait soignée en premier lieux t’ayant expliqué quelle plante utiliser pour aider un pokémon en cas de besoin, tu fis en sorte d’en avoir toujours une réserve suffisante à partir de ce moment. C’est réellement à la suite de cet épisode que votre amitié se forgea pour de bon.


Le temps continua sa course et les années passèrent. Tu as maintenant dix-neuf ans et Bob et toi vivez toujours ensemble et grâce à son aide, tu as même réussi à faire de ce lieu complètement vide un véritable foyer pour vous deux. En te renseignant davantage sur les Feuforêves, tu eus un jour une idée : monter une affaire d’occultisme. Après tout ces derniers se nourrissant de la peur des gens, pourquoi ne pas se servir de cette aptitude pour aider les autres à se défaire de leurs peurs, moyennant finance, évidemment. Ainsi, tu gagnais ta vie, honnêtement, Bob pouvait se nourrir à volonté et tes clients recevaient de l’aide pour combattre leurs phobies. Tout le monde y gagnait ! Bob fut récalcitrante au début, mais elle se prit vite au jeu. Le bouche à oreille faisant son office, vous deveniez rapidement suffisamment renommés pour que le vol ne soit plus ton moyen de subsistance principal. Mais, l'occultisme restant une pratique intéressant peu de monde, vous étiez tout de même tranquille. Et, si voler n’était désormais plus une nécessité pour toi, faire en sorte d’avoir les bonnes informations sur les bonnes personnes était resté une de tes habitudes. Rien de trop grave sur des personnes trop importantes, mais suffisamment importantes pour qu’on te laisse tranquille, et dans le doute, tu ne te risquais pas non plus à la revente de ces dernières. Tu avais réussi à créer un équilibre parfait, et tu en étais particulièrement fière, jusqu’au jour où l’équilibre fut brisé.


Rien ne pouvait te laisser imaginer que la journée qui venait de commencer aller prendre une tournure drastiquement différente que ce à quoi tu t’attendais, et pourtant. Sortis de nulle part des gros bras frappèrent à ta porte, déclarant que leur patron souhaitait te voir. Un rapide coup d’œil à leur tenue te suffit à savoir pour qui ils travaillaient : un gros poisson du quartier qui traînait dans des affaires franchement louches. En bref, quelqu’un des affaires duquel tu avais toujours pris garde de ne pas te mêler, tu fus d’ailleurs surprise que ce dernier ait conscience de ton existence. Tu en savais assez pour savoir que jouer le jeu était la meilleure solution pour t’en sortir indemne, tu suivis donc les deux hommes sans faire d’histoires, pour finir dans une salle remplie de personnes inconnues te fixant avec insistance.

Ils étaient tous debout, rangés en ligne droite contre les murs des deux côtés d’une pièce vide de toute décoration hormis l’immense table trônant en son centre, même les fenêtres étaient condamnées. Le temps passé là-bas à attendre ledit patron font définitivement partie des minutes les plus gênantes de toute ton existence. L’arrivée de ce dernier, masqué de la tête aux pieds, te soulagea presque, la tension diminuant légèrement lorsqu’il s’installa à un bout de la table et te fit signe d’en faire de même. Ayant réussi à survivre jusqu’ici, tu te dis que mourir ici et maintenant en désobéissant serait décidément bien stupide, alors tu t’exécutas. Ce dernier ne voulant sûrement pas perdre plus de temps que nécessaire avec une personne aussi insignifiante que toi t’expliqua vite la raison de ta présence. Apparemment, une personne travaillant pour lui et t’ayant connue dans ton enfance t’avait désignée comme candidate idéale pour une certaine tâche. Il s’agirait d’un vol, jusque-là facile. Un simple cambriolage, c’était trop simple, il devait y avoir un piège quelque part. D’une des maisons d’un des riches de la ville, et voilà !

Toujours selon l’associé de l’homme devant toi, ton talent pour le vol doublé de ton absence totale de lien avec ce dernier, faisait de toi la candidate parfaite. Ce dernier ayant besoin rapidement d’une personne de confiance, mais ne voulant pas prendre le risque d’être incriminé si quelque chose tournait mal. C’était logique. Il continua sur sa lancée en te promettant que si tu réussissais, tu n’entendrais plus jamais parler de lui, en échange de ton service. C’était toujours ça de pris, vu que vous saviez très bien tous les deux que tu ne pouvais pas refuser. Il te donna une semaine pour revenir avec l’objet en question avant de purement et simplement te congédier. Tu gardas pour toi la pensée que pour ce genre de boulot, il fallait s’y prendre au moins un mois à l’avance et tu partis sans demander ton reste.


Tu passas les trois prochains jours à discrètement observer la demeure de ta cible, histoire de plus ou moins connaître l’horaire ainsi que l’itinéraire des patrouilles dans cette dernière. Tu pris ton temps pour mettre ton plan en place, sachant très bien que tu n’aurais qu’une seule et unique chance ce coup-ci. Ce dernier était extrêmement basique car n’ayant pas le temps de te préparer plus que ça, autant partir sur un classique. Tu créerais un dysfonctionnement mineur quelque part pour attirer brièvement l’attention des gardes le temps de te faufiler, de trouver l’objet et de sortir par la fenêtre au moment où les veilleurs à l’extérieur étaient de l’autre côté. Tout se passait comme prévu et tu avais même trouvé le sac qu’on t’avait décrit comme contenant l’objet en question lorsque tu entendis des bruits de pas se rapprochant. Ta diversion n’ayant visiblement pas duré assez longtemps, le champ étant libre dehors, tu ne pris pas la peine de réfléchir davantage avant d’attraper le sac en question et de t’enfuir avec, au pire, tu pourrais toujours revendre deux trois trucs.

Tu rentrais donc chez toi en faisant attention à ne pas être suivie dans le doute, tu finis par arriver sans encombre et entrepris de chercher l’objet en cause de toute cette agitation. Tu le trouvas sans trop de problèmes, même si tu n’avais pas la moindre idée de ce à quoi il pouvait servir, ainsi, pour ton plus grand désarroi, qu’un œuf pokémon. Il n’en fallu pas plus pour te faire paniquer. Qu’est-ce que ce truc faisait là, dans un sac laissé dans une salle vide ? Il n’y avait aucun moyen que tu puisses aller le rendre discrètement, c’était bien trop dangereux ! Mais il y avait plus urgent. Tu devais d’abord aller livrer ta prise en échange de ta tranquillité future. Et rien ne t’empêchait de voler sur le retour de quoi garder en l’œuf en sécurité le temps de décider quoi en faire..