Rouge passion, c'est ça qu'est bon!

Une démarche chaloupée anime un corps enroulé dans la longue robe de tissu des Scribes. La jeune femme se sent bien. Dans le silence, perturbé seulement par le grattement des plumes et le froissement du papier, le calme serein de Sigyn s'épanouit. Elle ne souhaite pas attirer l'attention sur elle, se déplace en silence sur la pierre lisse. Son regard arpente les rayons remplis de livres aux reliures diverses, comme hypnotisé. Comme souvent, la jeune femme est perdue dans son propre esprit. Elle essaie, par ses réflexions, de percer les mystères de ce monde, imagine les falaises grandioses, les majestueux fonds marins, les imperturbables prairies et insondables forêts. La rouquine se rappelle avec tendresse des moments d'émerveillement, passés avec les créatures qui peuplent ces paysages. De son entraînement de Scribe, elle garde un goût prononcé pour la science sous toutes ses formes. D'une petite enfance passée dans les champs dorés de Scémède, Sig conserve et chérit un amour profond pour les pokémons. Même si elle a du mal à interagir avec les Hommes, particulièrement pour leur témoigner de l'affection, Sigyn aime toutes les choses qui vivent du fond de son petit cœur. Tête en l'air, malgré sa tendance à plonger son nez dans les livres, il n'est pas rare que vous deviez l'appeler plusieurs fois pour qu'elle pose ses prunelles ardentes sur vous. Apathiques, presque insensibles, ces yeux laissent l'impression dérangeante d'une énième excentrique, tombée amoureuse de ses livres et la poussière antique qui les recouvre. Forcez-vous à aborder le sujet des pokémons ou de la nature, et la femme rayonne. Son visage s'anime d'une passion et d'un amour qui rendrait jaloux l'objet de tels sentiments, si ce n'était le Monde dans son entièreté qui en profitait. Voilà Sigyn Jørikssen. Quelque part, perdue dans les brumes d'une concentration permanente, se cache un esprit vif, chantant, joyeux et espiègle, qui ne peut s'empêcher de s'émerveiller à la vue de tout ou presque, qui ne se rassasie qu'après avoir ingéré, intégré et compris les questions qui y surgissent. La seule chose plus étendue que cet amour du Monde et des Sciences, c'est une curiosité plus profonde que les mers du grand Nord et plus avide que les flammes internes d'un Arcanin.

Dans un petit village de Scémène, les blés sont coupés et récoltés. Aidés par le Florizarre familial, la famille Jørikssen remplit sa grange de grain et de foin. Sigyn et Sigfried, jumeaux, s'amusent à pousser les bottes de foin aussi hautes qu'eux en les faisant rouler sur le sol fraîchement moissonné. L'odeur de la paille fraîche embaume l'air. Sig et Fried -il fallait bien que leurs diminutifs soient différents- sont toujours extatiques quand la récolte commence. Le garçon aime le test de force et de résistance que le travail des champs représente. La fille, elle, se réjouit simplement de la compagnie des pokémons. Car une fois la récolte finie, tout ce beau monde ce repose.
Éclairés par la crinière dansante d'un Galopa, la famille mange. Les Jørikssen, depuis des générations qu'ils ont quitté le froid d'Aros lors de la guerre contre les monstres, se sont bien rabibochés avec eux. Propriétaires d'une grande exploitation champêtre, ils ne pourraient jamais s'occuper de tout leur blé et leur maigre troupeau de Wattouat sans l'aide de leurs fidèles amis. Et Sigyn ne leur en est que plus reconnaissante. Alors que son grand-père vieillit, et n'arrive plus à pousser la charrue, Blomst, leur Florizarre, l'aide volontiers, toujours bienveillant. Une fois le travail fini, la bête aide même à mettre la table avec ses lianes.
Convaincue, dès son plus jeune âge, de leur grande intelligence, Sigyn, un après-midi qu'elle avait passée à jouer avec Blomst, lui demanda de but en blanc:
«-Dis-moi, Blomst... Pourquoi nous aides-tu autant? Tu es grand, et fort, en plus! Tu pourrais très bien vivre librement dans la forêt, non?»
Pour seule réponse, la jeune fille eut une étreinte herbeuse et affective, suivie d'une léchouille des plus baveuses. Hilare et gluante, Sig n'oubliera pourtant jamais l'affection profonde dont faisaient preuve à l'égard des humains ces puissantes bêtes.
Puis, comme chaque automne, le père Jørikssen partit à Aros pour vendre son grain. L'insistance de Sigyn pour l'accompagner fit mouche, cette année-là. Elle avait six ans, des rêves plein la tête, et ses genoux écorchés ne la menaient plus nulle part qu'elle n'ait déjà exploré autour de chez elle. Ce fut le premier voyage de sa vie. Et la patience de son père fut mise à rude épreuve, puisque chaque découverte, ponctuée d'un «Waouuh!» et d'une tendance imprudente à caresser tout ce qui bouge les ralentissait constamment.
Arrivée à la capitale, engoncée dans la laine de Wattouatt, la jeune Sig resta bouche-bée. Tant de monde, de gens, de pokémons, de tous types et formes, couleurs, origines! Même le froid du Nord ne suffit pas à donner envie de partir à la demoiselle. L'été d'après, Sigyn emménageait chez des cousins pour étudier la lecture, l'écriture, les sciences... Et se passionna pour le voyage. Chaque trajet était une occasion de prendre des notes, le moindre temps libre à l'Académie servait à assommer de questions ses professeurs... Qui n'étaient tous ou presque jamais sortis des murs de la ville! Mais alors, comment savaient-ils autant de chose, et pourquoi ne cherchaient-ils pas à étoffer la Bibliothèque par leur propres moyens, plutôt que de recopier les dires d'autres, et les analyser ensuite? Non, pour l'intelligente, douce, mais curieuse et téméraire Sigyn Jørikssen, prendre la poussière en même temps que les rayons de la Bibliothèque n'est pas la seule façon de servir la science.
C'est au bout d'années de travail qu'elle put devenir Exploratrice. Sa première expédition tourna au vinaigre. Partie pour observer les pokémons aquatiques des marais, la belle croisa sur son chemin une petite bête blessée. N'écoutant que son courage et son amour pour les bêtes, Sigyn s'approcha d'elle et frotta doucement une décoction d'herbe médicinale sur la plaie. C'était douloureux pour l'animal, et il le fit savoir. Avant qu'elle ne puisse réagir, de puissantes mâchoires claquèrent, coupant net le premier doigt à portée. Cris et panique passés, la jeune femme banda son doigt rapidement, et finit le traitement de l'animal qui resta tranquille jusqu'à la fin. Sig ne revit jamais cette petite bête. Elle n'a même pas pris le temps de noter l'efficacité terrifiante de ses crocs.
Depuis, la rouquine arpente les terres sauvages avec plus de sagesse. Et heureusement, elle a encore neuf doigts.