[Solo] - Deux Perles, Deux Larmes

Aujourd'hui marque mes dix-sept ans. Devenue quelqu'un d'autre, plus sage, plus calme et ayant acquis plus d'expérience, je retourne à Kii. Accompagnée de Maître Itô, nous venons participer au devoir de chaque Kiiois. L'offrande au dragon peut prendre plusieurs formes, informations, matériel et nourritures par exemple. Celles que nous apportons pour la première fois depuis mon départ du sanctuaire sont renseignements, connaissances et leçons. Souhaitant initier les nouveaux disciple ayant pour âge d'apprendre le combat, mon meneur cachant ses vraies intentions, me teste pour la première fois. Enfin arrivés au terrain d'entraînements, il salue notre quinzaine d'élèves à peine plus jeune que moi et me présente comme leur éducatrice.

Le cours commence alors et rapidement j'effectue une ronde entre les adeptes qui combattent par paires. Détaillant leurs habitudes et leurs mouvements, je punis chaque imperfection d'une réprimande ou les corriges d'un petit coup de bâton si nécessaire. Cela dure ainsi toute la matinée, jusqu'à ce qu'Itô, presque affalé sur le sol se redresse et se déshabille. Aux yeux de tous, il laisse apparaître de nombreuses blessures qui parcourent son torse et son dos. Ainsi que l'immense cicatrice qui a failli lui prendre la vie lors de son arrivée au sanctuaire. Il me jette mon Tantô que j'ai ôté pour le cours et sans plus attendre il dégaine sa lame.

Un sourire naissant sur chacun de nos visages, au milieu des jeunes que nous inculquons, une démonstration prend place. Ce n'est pas une simple bataille qui a lieu, mais bel et bien une danse martiale, une chorégraphie qui parle et chantent à nos observateurs. Le but n'étant pas de leur apprendre uniquement la violence ou la défense de nos enseignements, nous leur transmettons à présent l'art qui peut y prendre place.

Après un faux pas, je prend un coup du manche de la lame de mon mentor. Un acte qui met fin à la présentation, un évènement qui pour beaucoup pourrait être une erreur, mais qui pour moi représente une sanction. Je me relève, souriante et m'incline devant le public qui se disperse rapidement. La séance est terminée. Ma joue encore endolorie par l'impact, je la frotte pendant que je me dirige vers Itô. Le saluant en silence, je me dirige vers mes quartiers pour le restant de la journée.

Le lendemain, la matinée prend la même tournure et vers midi, nous sommes visités par certaines prêtresses du sanctuaire afin de partager leur repas. Ayant énormément changé, aucune ne m'ont reconnu, bien qu'il me connaissent réellement. Heureusement, Sa Na n'est pas présente et c'est uniquement lorsque cette pensée me traverse que je comprends les enjeux d'aujourd'hui. L'épreuve que m'offre Maître Itô n'est pas uniquement basé sur ses apprentissages, mais aussi sur mon mental. Ou alors m'offre-t-il une porte de sortie?

Une fois le repas terminé et quand je m'apprête à rejoindre mes quartiers, il intervient.

-Tu n'as pas à te cacher dans tes quartiers. Profite donc de tes terres natales, nous ne restons pas longtemps.

Ces paroles qui s'échappent de ses lèvres, elles m'atteignent et me rassurent. Elles me donnent la  permission de partir à sa recherche. Une fois au village, je navigue les ruelles à travers la foule et réalise à quel point ces lieux m'ont manqué, ces montagnes dont j'ai foulé le sol autrefois.

Après m'être imbibé de ces lieux, d'y avoir laissé couler ces nombreux souvenirs dans l'instant présent, je me retrouve face au temple. Je m'assieds assez loin de celui pour y peindre une image de ce lieu dans mes pensées. Une heure passe peut-être, sans que personne n'entre ou ne sort de la scène de ce paysage. Ce temps, je l'ai jugé suffisant pour y dessiner mon histoire.

Je me redresse enfin, et marche en direction de mes quartiers. Les prochains jours s'ébauchent de la sorte : le matin y est dédié à nos devoirs à Itô et moi, le midi nous mangeons avec les disciples et bien souvent les prêtresses du sanctuaire, puis, le reste de l'après midi je vagabonde à travers la ville ou la montagne à la recherche d'une pointe de pinceau de mon passé. Je m'y sens à ma place, comme si je ne suis jamais partie, ou comme si peut-être, je souhaite revenir pour de bon. Cependant, au fond de moi je sais que c'est uniquement la nostalgie qui parle. Après tout, comment puis-je vivre dans ce cadre que j'ai autrefois considéré comme une cellule, comme une prison?

Le dernier jour se lève, le cours se fait plus dur, plus éprouvant. Ou est-ce parce que notre départ approche? Maître Itô, intervient enfin dans l'après-midi.

-Prépare-toi, nous partons. Nous allons au sanctuaire avant de reprendre la route.

Je fais les cents pas sous son regard interrogateur. Après tout, c'est la première fois qu'il me voit bouger ainsi alors que je suis dénuée de destination. La tranquillité disparait de mes songes lorsqu'il se lève et me laisse à mes pas et pourtant, il m'attend un peu plus loin. Presque en m'encourageant, il me contemple attentivement tout en souriant. Un trait chez lui qui survient fréquemment, sa patience en est apaisante.

Nous marchons donc jusqu'au sanctuaire et une fois arrivés, Itô me fait signe d'entrer.

-J'attends ici. M'a-t-il dit lors de ma panique grandissante.

Pourquoi me faire venir, s'il n'y a pas nécessité? Cet instant qui stagne et me crie qu'il est devenu mon ange gardien, qui me fait réaliser qu'il se soucie de moi bien plus qu'il ne laisse paraitre. Pourtant aussi expressif qu'un vieux tableau, au fond de lui réside probablement un coeur inquiet.

Hochant la tête, j'entre seule dans mon ancienne demeure. J'y croise nombre et nombre de situations familières, de lieux qui mélangent émotions à mes souvenirs. Nous sommes au milieu de l'après-midi et pourtant pratiquement personne n'est en dehors des bâtiments. A travers les fenêtres, j'arrive à croiser des regards interrogateurs. Des orphelins, qui, comme moi dans le passé écoutent leurs ainés dans des leçons qui ne se terminent plus et ce, malgré le soleil qui nous illumine à travers un ciel bleu et clairsemé. Je me souviens maintenant, pourquoi je m'en suis allée. Cette sensation que je n'ai plus ressentie depuis mon départ me revient dans une douleur crispée.

Je continue ma route, ne souhaitant pas faire demi-tour, ne voulant pas partir emplie de regrets.

-Lai Ha?

Une voix douce résonne alors que j'arrive à peine à l'autel du Sanctuaire. Je me retourne pour faire face à la personne que je cherche.

-Sa Na, Bon...

Une gifle vint alors me couper la parole. Une frappe qui est à peine retenue. Un long instant se dessine, elle en profite pour m'examiner de haut en bas derrière des larmes qui n'arrivent pas à s'échapper de ses deux yeux. Pendant que je frotte ma joue endolorie, je réalise enfin la douleur que j'ai du lui causer en partant sans rien lui dire. En n'essayant même pas d'esquisser pour elle un au-revoir convenable.

Derrière sa main cachant une partie de son visage, elle me regarde encore choquée de son acte. Ou alors est-ce parce qu'elle peine à croire que je suis là?

-Pourquoi? M'a-t-elle demandé. Pourquoi ne m'avoir rien dit?

Mon silence parle pour moi : lui dire m'aurait empêché de prendre une décision et de m'y tenir. Au fond, elle le sait probablement.

-Je serais venue avec toi, m'a-t-elle dit entre deux pleurs.

Ma tête se secoue de gauche à droite, et j'attrape sa main qui vient me chercher une seconde fois, cette fois-ci plus calmement. Sa Na n'a jamais partagé le même désir que moi, cette envie d'explorer le monde, cet appel que la nature et le paysage me transmettent.

-Je ne reste pas, lui ai-je dis.

Ses bras viennent glisser dans mon dos, enfin, nous sommes réunis. Ses pleurs se vocalise et elle se perd contre mon épaule pendant que je la serre un peu plus fort contre moi.

-Vi... Visite-moi plus souvent.

Ses paroles peinent à trouver leurs chemins entre ses lèvres. Mitigé entre la tristesse et le soulagement, mes doigts caressent légèrement son dos. Notre étreinte se termine pendant que notre proximité grandit. Mes lèvres viennent visiter son visage puis bien assez rapidement, nous nous embrassons courtement. Pendant tout ce temps, j'ai cru être la seule avec ces sentiments, mais ce second baiser qu'elle vient poser sur mes lèvres m'en indiquent tout autrement. Mes larmes viennent alors rejoindre les siennes, puis font place à des rires légers.

Nous restons ainsi, cachées près de l'autel pendant un bon moment. Nous échangeons quelques souvenirs, quelques moments joyeux passés loin de l'autre. Timidement, nous jouons de cet amour nouveau jusqu'à ce que le soleil se fasse désiré. L'ambiance, assombrie en même temps que le ciel froisse ce moment d'affection.

-Il y a quelques temps, je me baladais aux forges et j'y ai trouvé ceci.

De ses mains, elle va chercher dans ses vêtements. Deux petites pierres orangées et rougeâtres par moments en ressortent.

-C'est pour toi.

Sa voix prend un ton abattu, presque boudeur. Malgré cela, elle parvient tout de même à les glisser dans la paume de ma main. Après être allée chercher une aiguille stérilisée par le feu, elle me perce les deux oreilles et y attache chacune des pierres. Leurs boucles de métal allègent presque leur poids et les embellis en leur permettant de rayonner sur mes vêtements.

Lorsqu'elle dépose une petite boite de cuir contenant un baume, je ne peux m'empêcher de sourire malgré la douleur. Pour elle, ce jour est probablement prévu et planifié depuis un long moment, alors que je me suis perdue dans mon hésitation pendant toutes ces années. Sa Na est plus robuste que moi, plus sûre. Encore une fois, je viens l'embrasser.

Un silence s'installe et nos mains peinent à se quitter. Pourtant, je m'en vais et traverse le sanctuaire avec pour seule lumière ces deux nouveaux bijoux qui m'ornent. Mon départ arrive soudainement, mais cette fois-ci, sans mots, nous nous sommes proprement dit adieu.