I think it might be fear

À quinze ans, Hibiki tua son premier homme et sa demande de mutation dans une autre branche que la prostitution fut enfin entendue. Il devint un sbire lambda, auquel on assigna un Stari en tant que partenaire.

« Ils sont increvables, ces machins », lui avait-on donné comme justification pour un tel choix.
« Et aussi expressifs que toi ! » s'étaient moqués certains.

Hibiki avait fait de son mieux pour les ignorer, sans grand succès, car il avait été à cet âge où l'on se soucie du regard des autres. Après tout, on pouvait affirmer en toute objectivité que les Stari ne comptaient pas parmi les Pokémon les plus expressifs : sans visage, il était difficile de lire une quelconque émotion sur les étoiles de mer. Seul leur langage corporel pouvait renseigner sur leur état émotionnel et là encore, manque de chance, lae Stari qui lui avait été donné n'avait semblé guère enclin à se mouvoir. Influencé par leurs commentaires et ses propres observations, l'adolescent avait d'abord eu du mal à apprécier le cadeau qui lui avait été fait, et il s'était forcé à maintenir un important détachement émotionnel envers son Stari. De ce fait, les premières missions qu'ils avaient accomplies ensembles le furent difficilement.

Rapidement, la situation était devenue intenable pour Hibiki. Son armure craqua, et il donna un nom à son Stari : Rubis, en honneur du joyau qui ornait son centre. À partir de cet instant, ils apprirent à se connaître et ils devinrent rapidement un duo très efficace. Enchaînant réussites sur réussites, ils s'attirèrent rapidement les bonnes faveurs des administrateurs, qui leur offrirent une chambre privée après une année de loyaux services, mais pas seulement. Jalousie et envie étaient des fléaux assez communs parmi les sbires les moins habiles.

Dix-huit ans. Une mission simple fut confiée à Hibiki : voler des légumes directement dans les champs, car les réserves du repère s'amenuisaient. Sachant pertinemment que Rubis ne lui aurait été d'aucune aide, le jeune adulte laissa son partenaire dans sa chambre. Ce n'était pas comme s'iel risquait grand chose. Ou du moins, c'était ce qu'il croyait à cette époque, pauvre naïf.

***

La journée avait été mouvementée. Du matin jusqu'au crépuscule, Hibiki avait dû alterner entre ramassage furtif de légumes en lisière de champs et fuite lorsque des paysans enragés le repéraient. C'était donc avec une fatigue qu'il ressentait jusqu'au cœur de ses os que le jeune homme trainait derrière lui plusieurs sacs en toile remplis jusqu'à craquer de légumes. Hibiki ne faisait pas dans la demi-mesure. Lorsqu'il arriva finalement au repère, le ciel s'était débarrassé de ses teintes rousses pour laisser place au voile foncé de la nuit. Hibiki ne s'en soucia guère, car il s'agissait là des horaires de routine. Il partit déposer son butin dans la réserve, puis signala l'accomplissement de la mission avant d'aller rejoindre le réfectoire, où quelques retardataires trainaient encore. Comme à son habitude, il s'installa à l'écart pour manger en silence et on ne lui prêta guère attention. Une fois finit avec son maigre repas, le jeune homme apporta assiette et couverts à la plonge, avant de partir en direction des dortoirs.

Les couloirs étaient plongés dans la pénombre et dans un silence inhabituel, particulièrement oppressant. Un frisson parcourut Hibiki, qui l'attribua à la fatigue. Cependant, lorsqu'il tourna pour entrer dans sa chambre privée qui, comme toutes les autres, ne disposait pas de porte, il sut immédiatement que quelque chose clochait à l'obscurité et à l'odeur qui frappa son nez.

Du sang.

Le cœur emplit d'effroi, Hibiki entra doucement dans sa chambre. Les mains tremblantes, il alluma difficilement l'unique bougie qu'il possédait, dont il avait eu rarement besoin de par la lumière naturelle que lui fournissait son Stari. La vision qui se révéla lui glaça le sang.

Là, à même le sol, se trouvait Rubis, le cœur ouvert, brisé, incapable d'émettre la moindre lumière.

Hibiki tomba à genoux à ses côtés et tendit la main vers la plaie béante, sans oser la toucher. Cependant, à peine réalisait-il ce qu'il se passait, choc et déni se soustrayant à la gravité de la situation, qu'il vit la vie commencer à quitter le corps abîmé de son Stari. Dans un élan de panique, il ramassa les quelques morceaux suffisamment gros du joyau brisé pour tenter de les remettre à leur place ; action bien évidemment inutile. Tout en murmurant une litanie de non, non, non, non, Hibiki maintenait vainement les fragments ensanglantés en place, seulement pour sentir la vie de Rubis lui glisser entre les doigts, ne laissant qu'une carcasse vide derrière.

Tremblant, mais pourtant figé dans la même position, Hibiki n'eut cependant pas la force de pleurer. Toutefois, passé le choc, il réalisa que ce qui était arrivé ne relevait pas d'un accident, mais bien d'un acte délibéré, de sabotage dont Rubis n'était que la victime. Ne sachant comment faire parvenir cette nouvelle aux administrateur (il lui faudrait un nouveau partenaire), Hibiki succomba à la panique. Quelqu'un lui en voulait au point de tuer son Pokémon. Qui sait ce qui pourrait lui être fait lors d'un moment d'inattention ? On pourrait le tuer dans son sommeil ! Ou le violer ! Ou l'handicaper définitivement, le rendant inutile aux yeux de leurs supérieurs !

Cependant, alors que Hibiki paniquait au point d'éprouver des difficultés à simplement respirer, un Tylton se posa devant lui et le corps de Rubis. Le jeune homme leva les yeux, surpris, et la vision de l'oiseau lui remit les pieds sur Terre. Il s'agissait du Tylton qui avait participé à sa chirurgie. Il le reconnaissait grâce à la rayure, cicatrice de combat, présente sur son bec. Le Tylton piailla quelque chose avant de s'envoler par la couloir, laissant un Hibiki confus et toujours aussi inquiet derrière lui.

Le Tylton revint quelques minutes plus tard flanqué d'un Zorua à ses côtés, qu'il était certainement aller chercher dans la section élevage du repère. Là, il piailla de nouveau au renard, qui lança une illusion recréant plus ou moins ce qui s'était passé, preuve que l'oiseau avait été témoin de la scène. L'illusion n'était guère précise, ne montrant que des formes humaines s'acharnant sur le cœur de Rubis, mais elle apporta une forme de paix à Hibiki, dont les soupçons se voyaient confirmés. Soudainement, le Tylton attrapa une mèche de cheveux du jeune homme, et le força à se remettre debout pour le tirer en dehors de la chambre. Hibiki se laissa faire un moment, n'ayant guère plus d'énergie pour lutter, mais lorsqu'il réalisa que l'oiseau le tirait en direction des quartiers de ses supérieurs, il tenta de vainement et sans grande conviction de résister. Malgré tout, à quoi bon chercher à éviter la foudre de ses supérieurs ? S'il ne se faisait pas tuer par eux, des sbires s'en chargeraient à la place.

Un des administrateur s'était posté à l'entrée, occupé à se brosser les dents avec une de ces plantes souples dont ils se servaient. À sa vue, le jeune Zorua recréa de nouveau la scène que l'oiseau lui avait décrite, surprenant l'homme qui ne s'y attendait guère. L'illusion fut plus convaincante cette fois-là, plus plausible, même trop. Hibiki tenta de l'expliquer, mais on ne le crut pas. Les administrateurs se fichaient bien de ce qui avait pu arriver au Stari.

« Qu'est-ce qu'on en a à foutre de comment est mort ton truc ? T'as qu'à prendre ce Tylton pour partenaire. »

N'ayant plus beaucoup de choix et n'osant guère se rebeller, Hibiki accepta l'offre, qui n'en était pas vraiment une, malgré la crainte de condamner l'oiseau bleu à son tour.

Une nouvelle période de la vie de Hibiki s'ouvrit à cet instant.